Bourges 2010, prise d’un pouls…

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Article paru dans Plateaux n°201 - 2ème trimestre 2010

Cette année le SFA avait mandaté notre camarade Jérôme Savy pour le représenter au Festival « Le printemps de Bourges ». Jérôme est aujourd’hui comédien mais également artiste intervenant au conservatoire de Lyon pour les musiques actuelles et a été pendant plusieurs années membre du groupe « Carte de séjour ». Il nous livre ici ses impressions et quelques commentaires.

Le Printemps de Bourges est, en termes de fréquentation, le 5e festival français de musiques actuelles, juste derrière les Francofolies de La Rochelle. On associe souvent ces deux festivals pour leur volonté d'aider au développement d'artistes, par la création d'un réseau spécifique : « Scènes découvertes » (Bourges,) « Le chantier des Francos » (La Rochelle). La programmation y est plus rock au Printemps, plus chansons à La Rochelle. Rappelons au passage que nous sommes persona non grata à La Rochelle depuis 2003

Le pouls ne bat pas fort…En apparence, même organisation, même décor, mêmes scènes, et les mêmes têtes… qu’il y a quelques années. Très amusant d’ailleurs ;  j’y ai joué en 84 pour la première fois avec LKJ ; mis à part les piercings, le public et les pros n’ont pas changé, on croirait que le temps s’est arrêté, bouton pause pendant vingt ans, puis play… Par contre, c’est une réalité de surface, le secteur a beaucoup changé dans les comportements, dans la structuration du métier… l’inquiétude est là ! Bien présente !

Sur le contenu de la programmation, il n’y a rien de vraiment transcendant, mis à part deux ou trois projets prometteurs et un fabuleux concert de The Stooges, c’est tout dire ! . C’est un peu gris et terne, on se répète beaucoup, c’est l’éternel reformatage à la sauce 70’ 80’. C’est «  ficelles » et reformulation des anciennes modes. Le climat n’est pas à l’innovation, 

 

Un contact facilité

Cette année, en collaboration avec le SNAM, nous avions décidé de faire remplir un questionnaire par tous les artistes présents dans les « Découvertes ». Cela nous a facilité la prise de contact et permis d’avoir une photographie instantanée de la réalité du terrain, du fonctionnement des artistes débutant dans ce métier, de leurs attentes, de leurs connaissances sur leurs droits et leur environnement social, de leurs pensées sur le métier.

 

Photographie

L’entonnoir qui bouche l’entrée de la professionnalisation s’est déplacé. Il y a trente ans il se trouvait à la porte des maisons disques et il fallait, pour la majeure partie d’entre nous, plus de cinq ans de petits concerts, de premières parties, de maquettes chèrement payées pour avoir peut-être le début d’un contact avec un tourneur, un éditeur et la tant rêvée, sublimée, « saint-graaliesque » maison de disque. Nous étions des amateurs tant que nous n’avions pas signé de contrats; et nous ne faisions pas encore partie du métier tant que nous n’avions pas ouvert nos droits à l’assurance chômage.

Aujourd’hui, cet entonnoir s’est déplacé bien en amont. Grâce à Internet, le home studio et la baisse des coûts de production d’un disque, un projet est identifié dès sa première année d’existence. Entre Myspace, Facebook et Twitter, certains artistes font déjà le buzz avec deux concerts à leurs actifs. Ils rêvent toujours un peu à la maison de disque, mais vu la quantité énorme de projets existants, la crise du disque et la très faible -voire inexistante- rémunération des concerts, ils ne se projettent plus (dans leur grande majorité) dans le statut de salarié leur permettant d’accéder à une protection contre le chômage. Le plus grand nombre se structure en label ou association et beaucoup ont choisi le statut d’auto entrepreneur. Nous avons aujourd’hui  presque une structure juridique par projet artistique. Les bébés labels se regroupent et avec deux ou trois ans d’expérience, vont chercher d’autres projets et font du booking, du développement d’artistes, du tour management etc. Ils intègrent le métier quoiqu’ils adviennent : s’ils ne réussissent pas en tant qu’artistes, ils resteront dans le métier. La formation par l‘exercice disparaît et, signe des temps, étant très vite sortis de leurs caves grâce aux nouvelles technologies, ils prétendent exister vite et n’ont plus le temps d’attendre…Ils se situent plus comme profession libérale que comme salarié.

Il y a aussi tous ceux qui intègrent les conservatoires de musique avec l’intention d’y passer un DEM en vue d’obtenir un diplôme d’Etat. Ils viennent chercher une formation mais aussi une sécurité, des béquilles. De la certitude dans l’incertitude, quel hiatus ! S’ils ne réussissent pas avec leurs projets artistiques ils seront pédagogues par défaut. C’est un des effets pervers de la mise en place des DE « musiques actuelles ».

Tout le monde veut faire du développement d’artistes, y compris les artistes présumés. C’est un peu normal puisque la grande majorité des processus de subvention vont dans ce sens. Grand nombre de structures se créent pour assurer la répartition, pompant une grande partie des sommes pour leur fonctionnement. Il en résulte que l’artiste se situant en bout de chaîne en perçoit une plus faible part. D’où le raisonnement des nouveaux arrivants qui montent leurs structures pour percevoir ces subventions tout en développant leurs projets. Ce fut le grand mot de la semaine entendu dans toutes les réunions. Tout le monde tirant à hue et à dia pour s’en approprier la primeur et au mépris de la sémantique oubliant d’y adjoindre un adjectif économique, scénique, marketing etc. Donc ce développement est envisagé pour une toute petite part de la carrière de l’artiste en musiques actuelles, quant on sait que la carrière sur scène a une durée moyenne de 10 ans.

Il faudrait revoir cette notion de carrière dont on sait que les producteurs ne s’intéressent qu’à la partie émergée, la plus lucrative, celle de la scène. Repensons à une carrière dans son ensemble sinon c’est l’ultra libéralisme sauvage qui triomphera, quand on sait, pour exemple,  que nous avons interrogé tous les artistes « Découvertes » et que la notion de présomption de salariat y est inconnue à 80% !!!


Les débats 

Le Festival de Bourges est aussi l’occasion pour les organisations professionnelles de débattre des différentes questions qui concernent les musiques actuelles et amplifiées : le Centre national chanson, variétés, jazz (CNV) et son fonctionnement, les conséquences de la réforme de la licence d’entrepreneur de spectacles du fait de la transposition en droit français de la Directive européenne sur les services...

Une autre inquiétude exprimée lors de ces débats à été l’arrivée sur le territoire des « ARENAS » sortes de Zéniths puissance 10. Ce sont des salles à grande capacité. Ces structures sont financées par des fonds privés, par exemple des fonds de pension américains, ou des conglomérats tentaculaires ayant racheté entre autre des maisons de disques. Ils se substituent aux fonds publics et permettent aux élus locaux de construire des salles à moindre frais. Ainsi se prépare pour le spectacle vivant, la culture de masse, à l’instar de la télévision et de l’industrie du disque. La crise de ce dernier aidant, il faut bien ramasser l’argent où il est !

 

Jérôme SAVY