Si on veut que revive le Gala de l’Union des artistes

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Article paru dans Plateaux n°201 - 2ème trimestre 2010

Le 29 mars dernier a eu lieu le 49e Gala de l’Union. Vingt neuf années s’étaient écoulées depuis la version précédente. Oublié depuis le temps… Fini… Disparu ? Et voilà que tout d’un coup…

En réalité cela n’a pas été du tout d’un coup. Il a fallu que l’idée, l’envie germe dans la tête d’un homme, Philippe Ogouz, président de l’ADAMI, il a fallu son entêtement et son opiniâtreté pour intéresser, convaincre, entraîner –AUDIENS, un producteur, France 2 (quel que soit l’ordre chronologique)– avant que le processus se mette en marche, réunissant au final plus d’une centaine d’artistes, de coachs, de machinistes, de servants… et d’animaux (pour ne parler que de la scène) et aboutisse à cette soirée mise en forme par Christophe Barratier. Il a fallu que l’ADAMI et AUDIENS amorcent la pompe à finances…et bien évidemment, que l’Union des artistes donne son accord…

Nous savons bien, à l’Union, combien le Gala a marqué la mémoire collective des artistes interprètes et les souvenirs inoubliables qu’il a laissés chez beaucoup parmi les plus anciens ; pour ne rien dire des plus jeunes que les images portées par la télévision ont fascinés dans leur enfance. C’est à tout cela et pour tout cela que le conseil d’administration de l’Union, malgré un manque de concertation préalable, a accepté de répondre favorablement à cette initiative  et qu’il a donné l’autorisation d’utiliser le titre de Gala de l’Union des artistes en veillant, autant que faire se pouvait, au déroulement de la production du spectacle dans le « respect d’une certaine tradition » …

Après son long sommeil, comment donc était la Belle au bois dormant ?

Commencée dans un bordel assez considérable, plus d’une heure de retard, la soirée finalement s’est plutôt bien déroulée. Sa réussite a tenu d’abord dans le fait qu’elle ait eu lieu, que le spectacle était là vraiment, avec sa forme et son rythme, son esthétique, avec de beaux numéros et d’autres qui l’étaient moins –et ce n’était pas forcément les moins émouvants… Dans une salle relativement pleine, un grand nombre d’artistes interprètes ont vécu ce moment avec émotion, d’autres avec irritation : les premiers retrouvaient le Gala de leur jeunesse, les autres ne retrouvaient pas le Gala de leur jeunesse...Le spectacle vivant, quoi !

Cependant, qu’ils aient aimé ou non le spectacle, tous constataient avec un certain regret l’absence de vedettes sur la scène et dans la salle (que Jean-Claude Dreyfus, Anny Duperey, Gérard Jugnot, Bernard Lavilliers,  Michel Lebb et Jacques Perrin… leur pardonnent). Il est vrai que dans la salle, les « personnalités » n’étaient pas réunies comme jadis dans la loge d’honneur ! C’est sur cette observation-là que je voudrais m’attarder.

L’idée de Max Dearly, inventeur du Gala, était de faire appel à des artistes de renom et il est indéniable que c’est la participation de vedettes qui a fait le succès et la popularité du Gala. Il n’est qu’à feuilleter les programmes pour le voir, ils étaient nombreux tous ces noms illustres, nombreux à participer, nombreux à être présents dans la salle, pour être vus peut-être, mais surtout pour soutenir, car c’était leur Gala.

Très tôt dans son histoire, l’Union a réuni nombre de ces grands noms du spectacle vivant –et plus tard du cinéma. Syndicat à partir de 1927, adhérant à la CGT en 1936, beaucoup parmi eux furent des militants actifs et jusque dans les années 60. Leur adhésion était l’expression d’une conscience collective, celle de faire partie d’un ensemble indissociable, la communauté des artistes du spectacle, dont ils étaient solidaires ; la conscience que le syndicat organisait cet ensemble, pour faire avancer et conquérir des droits sociaux et la reconnaissance des artistes interprètes comme salariés

Qu’on le veuille ou non, c’est cette solidarité-là qui se manifestait dans leur participation au Gala de l’Union, c’est cette solidarité qui était à l’œuvre dans ce geste d’entraide que constituait le Gala (dont les bénéfices –quand il y en avait– étaient destinés aux œuvres sociales du syndicat, l’aide juridique entre autres, et non aux seuls secours comme on veut le croire. J’ajoute à ce propos que pour ce 49e Gala, l’Union n’a pas souhaité que sa rémunération soit prélevée sur la recette du spectacle. Il a donc fallu batailler pour qu’elle soit inscrite dans le budget de la production).

Ce n’est pas de charité dont les artistes interprètes ont besoin, c’est de solidarité. Même si l’une et l’autre font appel à la générosité.

Je ne peux résister à citer ici ces mots qu’écrivait en 1925 Harry Baur, alors président de l’Union des artistes, dans un article polémique avec la mutuelle de l’Opéra : « [vous dites] secours, aumône, parfait. Assurances chômage, maladie me sembleraient mieux…car la bonté, la vraie, doit, quand elle veut être active, tendre à disparaître. L’organisation sociale doit supprimer la charité ». Et c’est cette solidarité –l’union de tous les artistes– qui a contribué à faire avancer l’organisation sociale !

Qu’en est-il aujourd’hui ? La solidarité, c’est le moins qu’on puisse dire, s’est quelque peu émoussée ces dernières décennies ! Les artistes interprètes en lutte sur tous les fronts ne voient pas à leurs côtés beaucoup de ceux que l’on appelait « grands camarades » pour les aider à préserver ce qu’ils ont gagné ensemble de haute lutte.

Le Gala de l’Union, même s’il est né dans un élan de générosité, n’a pas pu et ne s’est certainement pas maintenu grâce ce seul élan. Son histoire, qui reste à faire, ne saurait se réduire à une suite de numéros exécutés par des artistes de renom. Aujourd’hui, si on veut reprendre le Gala de l’Union et lui donner quelque chance de durer, on ne saurait se contenter d’en reproduire les formes extérieures comme si rien ne s’était passé que du temps. Nous devons mesurer l’importance du rôle qu’il a joué dans la vie sociale des artistes et analyser son long processus de dégradation pour comprendre ce qui, en 1982, a finalement conduit les dirigeants de l’Union et du SFA à arrêter la production du Gala.

Robert Sandrey écrivait déjà en 1965 : « Il faut remarquer qu’autrefois tous les concours étaient bénévoles. Puis avec les années, le Gala se transformant en institution, est devenu du même coup pour beaucoup de gens une affaire ». Il est pourtant toujours resté un ardent défenseur d’une reprise du Gala. Car cette idée a longtemps fait l’objet de débats à l’Union des artistes. Au-delà des problèmes économiques, une question se posait comme une évidence : autour de qui ? Quel artiste célèbre voudrait bien accepter de fédérer…Des contacts ont été pris…d’autres se posaient également avec force sur l’opportunité, le sens, sur les objectifs. Et si nous n’avons pas été plus loin que le débat il est probable que c’est parce que nous n’avons pas réussi à surmonter les contradictions inhérentes à l’entreprise ! 

Nous devons nous poser ces questions, nous ne pouvons pas en faire l’économie.

Qui sait si le Gala peut constituer un ciment de la communauté des artistes, mais renouer avec cette manifestation devrait viser à construire comme un début de commencement de rapprochement des vedettes avec le corps de la troupe… sans oublier les futurs artistes !!  C’est cela, entre autres, que nous devrions ambitionner pour que le Gala aujourd’hui prenne du sens, par delà l’impérieuse nécessité de l’entraide du service social, « l’aile blanche » comme disait Mercedes Bouton.

N’était-ce pas cela au fond, le sens de la soirée d’hommage à Gérard Philipe que le SFA vient d’organiser ? Nous avons le devoir de rêver !

 

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