Article paru dans Plateaux n°200 - 1er trimestre 2010
Quarante-quatre années séparent le premier numéro de « Plateaux », paru en 1966, du dernier en date. A la veille de la parution du numéro 200, une comparaison entre les deux exemplaires a semblé utile pour prendre la mesure du changement et de la constance, tant dans la publication que dans les métiers dont elle est le reflet.
Sous forme d’inventaire en vrac et non exhaustif :
Les objets sont les mêmes : les intérêts matériels et moraux des artistes, même si on parle de tarifs, et non de salaires (la loi de présomption de salariat n’existe pas encore) et on veut épargner aux artistes « … la quête aveugle, et, trop souvent, humiliante du travail ».
On travaillait au SFA visiblement beaucoup (plus) au cinéma et à la télévision (c’est encore l’ORTF) qu’aujourd’hui. Le doublage (la « synchro ») donne l’impression de bien se battre
Le numéro 1 évoque Pierre Doris : dans le dernier, on apprend sa disparition.
Le SFA était alors le syndicat des Acteurs, et non des artistes interprètes. Les mots Artistes, Spectacle ou Théâtre ont souvent des majuscules.
Précisément, le langage : l’usage du passé simple était plus fréquent, on recourait à des constructions syntaxiques à faire pâlir un Goethe : « … ou, petit à petit, car la maladie sera longue qui aboutira à la mort du Théâtre privé, fermeront d’abord, seront démolies ensuite, les unes après les autres, de nombreuses salles. ». La langue d’aujourd’hui semble plus neutre, plus technique, à l’image d’un environnement bien différent.
La CGT n’est évoquée dans le premier Plateaux que dans la liste des affiliations du SFA et dans un organigramme : dans le dernier, congrès oblige, on lui fait une large place.
Tiens ! Il existait une FIA Variétés…
Le numéro 1 ne parle pas de propriété intellectuelle ni d’Assedic, et pour cause ! (dans le dernier exceptionnellement très peu, à propos du régime d’auto entrepreneur, ainsi qu’en passant, dans l’Edito).
Il n’a pas le souci de gestion et d’élection aux caisses complémentaires, de prévoyance ou autres : il n’y en avait pas.
On ne parlait pas non plus de nouveau site Web ni de problèmes de droits Internet. Le syndicat n’avait pas d’adresse email, mais une adresse… télégraphique!
On y apprend que l’Union des Artistes déménage son gala et qu’une AG extraordinaire s’apprête à en faire une organisation distincte.
La revue d’alors fournit un grand nombre de « brèves » sur l’actualité professionnelle en France et à l’étranger, dont beaucoup sur le cinéma.
Une constante dans les deux numéros : on bat le rappel des cotisations (à l’époque non déductibles).
Plateaux numéro 1 n’indique pas les crédits photos au nombre de… deux ! C’est pas bien, ça !
Si l’organigramme du syndicat mentionne l’existence de sections locales et régionales, l’essentiel se passe à Paris, hormis une petite info concernant les théâtres lyriques en « province » (sic). Le dernier numéro évoque Cabourg et Marseille et, comme toujours, fournit les contacts en régions.
L’exemplaire initial détaille la direction du syndicat : Belmondo, Piccoli, Bozuffi… Un temps où les « grands » étaient solidaires des « petits »… On y trouvait encore moins de femmes qu’aujourd’hui ou au moins la question de la parité est posée, ainsi au séminaire de Marseille.
Une commission est en charge de la « propagande », une autre du « statut professionnel ».
L’annonceur publicitaire n’était pas AUDIENS, mais la SABENA (anciens transports aériens belges).
On avait le souci de l’outil de travail et de leurs lieux, bien moins diversifiés qu’aujourd’hui (théâtres privés et cabarets font chacun l’objet des deux articles de fond). Celui sur les cabarets est sous forme de table ronde à laquelle participe Jean Ferrat. Dans l’un et l’autre article surgit la question : le public est-il en baisse, en hausse ?
On se préoccupe de former les syndiqués (conférence du « Grenier ») et on propose des activités culturelles et des formations (solfège, escrime… Eh oui ! C’est l’époque des films de cape et d’épée).
On parle dans la revue de culture, de contenu et de la qualité du répertoire.
Les adhésions semblent plus nombreuses qu’aujourd’hui : en réponse à ceux qui pensent que le SFA n’en fait pas assez, Plateaux numéro 1 fournit l’agenda détaillé du syndicat.
A l’inverse, on n’y hésite pas à tancer les adhérents qui critiquent et n’en foutent pas une.
Mais il y a dans l’ensemble de la lecture de ce premier numéro comme une rondeur, une douceur, qui donnent immanquablement l’idée qu’on s’adresse à une grande famille, écho de temps, peut-être, moins difficiles.
Il se peut que ce soit cela qui différencie les deux époques ; la nôtre, marquée par l’irruption d’une précarité à grande échelle et de ses regrettables corollaires, l’isolement et le « chacun pour soi ».
Daniel MURINGER