Internet: Nos propositions pour maintenir et encourager la circulation de contenus culturels riches et divers

-A A +A

Article paru dans Plateaux n°208 - 1er trimestre 2012

Les artistes interprètes bénéficient de droits voisins du droit d’auteur. Ils doivent donner leur autorisation pour que leur prestation puisse être enregistrée puis diffusée et mise à la disposition du public. Ils doivent être rémunérés pour cet enregistrement et pour les exploitations qui sont faites de leur travail.


Une partie des droits générés par ce travail sert aussi à financer - via des aides versées par les sociétés de perception et de distribution de droits - de nouvelles productions, y compris du spectacle vivant. Les producteurs sonores et audiovisuels aussi ont des droits voisins sur les œuvres qu’ils produisent. Une partie des droits qu’ils perçoivent sert également à créer de nouvelles productions, qui génèrent de l’emploi pour les artistes.

Même si le partage des bénéfices n’est pas toujours très équitable, le fait qu’une économie monétarisée existe pour le contenu culturel sur Internet est aujourd’hui nécessaire afin que les artistes interprètes puissent vivre de leurs métiers.

Et pourtant la propriété littéraire et artistique est de plus en plus décriée, notamment par les associations de consommateurs et de nombreux politiques, surtout de gauche. Il semble être devenu « tendance » de promouvoir la gratuité sur le Net, ou du moins, la non-répression de cette gratuité, ce qui revient au même. Nous ne voulons pas croire que les femmes et les hommes politiques puissent vouloir simplement « brosser dans le sens du poil » des millions de jeunes électeurs potentiels. Il faudrait donc qu’ils croient vraiment nécessaire de se battre contre la propriété privée, et que les premiers à être destitués, tels le clergé et les aristocrates en 1789, doivent être ces symboles de l’Ancien Régime, les artistes créateurs et interprètes !

Contre l’ignorance, tentons l’information.

Jimmy SHUMAN

Le texte qui suit est une contribution collective de la Fédération du spectacle, à la rédaction duquel le SFA a largement participé. Il est paru sur le site de la plateforme de l’Accen, l’Assemblée pour la culture et la création à l’ère du numérique (www.plateforme-accen.fr), mise en place par AUDIENS et alimenté par de nombreuses organisations, associations, syndicats et individus concernés par le sujet. Notre texte est paru sous le titre : « Nos propositions pour maintenir et encourager la circulation de contenus culturels riches et divers ». Celles-ci nous semblent pertinentes et utiles à partager, sans modération, particulièrement dans cette période marquée par le festival de Bourges, le festival de Cannes et… les élections présidentielle et législatives.

Déclaration de la FNSAC et de ses syndicats

La Fédération du Spectacle Cgt et ses syndicats ont à cœur d’accompagner la révolution numérique en veillant à maintenir et à encourager la circulation de contenus culturels riches et diverses. Nous estimons que la mutation technologique liée au passage du numérique suppose, en premier lieu, le respect des lois et règlements existants et, à la marge, certaines adaptations.

Les artistes interprètes et les auteurs vivent, pour les premiers, en partie grâce à leurs droits de propriété intellectuelle, et pour les seconds, entièrement grâce à ceux-ci. Par ailleurs, les filières de la musique et de l’audiovisuel créent des emplois nombreux, notamment pour des techniciens et artistes  salariés, grâce aux retombées de ces droits de propriété littéraire et artistique, que ce soit via des droits exclusifs ou des licences légales. Le spectacle vivant est aussi irrigué par des sommes issues notamment des licences légales. Les droits exclusifs génèrent certes des profits pour des actionnaires, comme de nombreuses activités économiques, mais aussi des revenus importants pour les artistes qui en sont aussi bénéficiaires, ainsi que des emplois pour des dizaines de milliers de travailleurs culturels en France.

Le droit d’auteur et les droits voisins sont donc à défendre au niveau européen comme au niveau national, et ceci au plus haut niveau possible. Toute idée d’harmonisation des niveaux de protection ou des taux de rémunération est à bannir, car l’harmonisation européenne ne s’opère qu’au plus bas dénominateur commun. Les sociétés de gestion de ces droits, qui doivent fonctionner dans la plus grande transparence et la plus grande équité envers les ayants droits, sont tout à fait capables de coordonner leurs activités pour permettre un accès harmonieux aux utilisateurs des œuvres, dans le domaine musical comme dans le domaine audiovisuel.

L’utilisation non autorisée des prestations et des œuvres enregistrées et protégées s’apparente effectivement à du vol, accompli autant au détriment des interprètes et des créateurs de faible notoriété que des vedettes ou des producteurs. Les œuvres créées par des utilisateurs qui dépassent une limite à définir de citation, enfreignent non seulement les droits pécuniaires des interprètes et des créateurs, mais aussi leur droit moral. L’œuvre artistique n’est pas un article de commerce comme un autre, même si elle peut faire parfois l’objet d’un échange marchand. L’attachement viscéral de l’artiste à l’œuvre, issue de son talent personnel et individuel, nous semble évident, s’approchant même d’une identification de l’une avec l’autre. Le droit d’auteur, le droit voisin, le « copyright » ne peuvent pas être et ne doivent pas être un droit appartenant à l’utilisateur. Ceci serait un non-sens historique et étymologique. Le « copyright », comme le droit d’auteur, a été conçu au 16ème siècle pour le premier, au 18ème pour le deuxième, pour protéger les intérêts moraux et patrimoniaux des auteurs et des éditeurs, pour leur permettre de vivre de leur travail. En quoi la numérisation, parce qu’elle rend plus facile et plus fidèle l’appropriation ou la copie des œuvres par les utilisateurs, changerait-elle la définition ou la nécessité du copyright ou du droit d’auteur ?

Nous considérons donc qu’il est légitime de protéger les œuvres et leurs interprétations d’une appropriation non autorisée, ce qui implique nécessairement, dans notre société, une sanction adaptée de celle-ci. Nous sommes partisans depuis de nombreuses années de la notion de riposte graduée, qui a été, sans doute imparfaitement, incorporée dans le système Hadopi. Il nous semble intéressant et justifié d’avertir les contrevenants de leurs méfaits et des risques encourus, et ensuite de réduire progressivement le débit de leur connexion Internet, jusqu’à la suspendre en cas de transgressions répétées. Un prétendu droit de communication n’est pas enfreint dans ce cas, car de nombreuses possibilités publiques d’accès, mêmes gratuites, existent, que ce soit dans les bibliothèques, les mairies, les parcs, les cafés… Il est tout de même extravagant de promouvoir le démantèlement des droits de propriété des artistes, tout en insistant sur un « droit de connexion » privatif des internautes indélicats… Nous mettons donc en garde contre toute tentation populiste ou électoraliste tendant à l’acceptation de la circulation gratuite non autorisée des œuvres et interprétations considérée comme « normale », même « corrigée » par une « contribution » forfaitaire attachée à l’abonnement Internet. En effet, nos œuvres et nos interprétations ont une valeur artistique, spirituelle, mais aussi économique !

Le développement de systèmes alternatifs de protection et de dissémination des œuvres et des interprétations est tout à fait possible : « Creative Commons », « Copyleft » … donnent tout loisir aux artistes de mettre leur travail à la disposition des utilisateurs potentiels, selon des conditions que les artistes souhaitent y mettre. Comme pour des systèmes plus traditionnels, c’est l’artiste, qu’il soit interprète ou créateur, qui en décide.

Il faudrait aussi encourager le développement de plateformes publiques de téléchargement définitif ou temporaire, plus abordables que les plateformes commerciales, plus ouvertes aux artistes, notamment aux artistes en devenir… Des médiathèques publiques permettent déjà l’emprunt des œuvres musicales et audiovisuelles, tout en respectant les droits des créateurs, interprètes et producteurs (même si les niveaux de rémunération peuvent être considérés comme insuffisants). Des exceptions existent déjà pour des handicaps divers, ainsi que pour certaines missions d’intérêt général.

Pour qu’une création culturelle riche et diverse puisse exister, pour que les artistes puissent vivre de leur travail, il faut que le droit d’auteur et le copyright soient fermement défendus, dans un contexte où des citoyens ont été conditionnés à une consommation immédiate, non discriminante et gratuite des œuvres musicales et audiovisuelles, œuvres qui ne pourraient foisonner aussi fertilement sans économie pour les promouvoir. Ce sont les industriels fabricants d’appareils divers qui sont les principaux bénéficiaires et les principaux promoteurs de cet écosystème illicite de gratuité, et ces mêmes consommateurs qui seront à terme, si leurs arguments sont victorieux, les victimes de l’appauvrissement de l’offre culturelle qui s’ensuivrait.

Il serait également nécessaire d’impulser une grande campagne d’information sur l’investissement humain des auteurs et des artistes interprètes, dépassant l’investissement financier: la réalisation d’une interprétation ou d’une œuvre est le résultat d’un long apprentissage et d’un travail à la fois intellectuel et pratique pour aboutir à un résultat (musique, livre, tableau, film, chorégraphie, théâtre…)

Il serait aussi équitable que les fournisseurs d’accès à Internet contribuent davantage à la création musicale et audiovisuelle et qu’un prélèvement sur leur chiffre d’affaires vienne compenser les échanges illicites des œuvres qui persistent. La préconisation de taxer la publicité en ligne (« taxe Google ») de la mission Zelnik, Cerutti, Toubon est positive. Le gouvernement issu des élections de mai  2012 devrait œuvrer pour la concrétiser, ce qui implique un travail en direction des autres gouvernements européens. Ces nouvelles sources de financement ne doivent pas pour autant se substituer à la responsabilité publique en matière de politique culturelle, mais venir en complément.  Il faut aussi que la prochaine législature sécurise la redevance compensant l’exception pour copie privée qui  est mise en danger par l’intervention des industriels et l’arrêt du Conseil d’état du mois de juin dernier.

Enfin, le prochain gouvernement devrait  favoriser la négociation et la conclusion de nouveaux accords conventionnels, par exemple,  pour le jeu vidéo au bénéfice des techniciens, informaticiens, créateurs et artistes interprètes.