Interview de Christiane Bruère-Dawson, directrice générale de l’AFDAS et Jean-Yves Boitard, directeur du département intermittents du spectacle

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Article paru dans Plateaux n°203 - 4ème trimestre 2010

 

Plateaux : Depuis l’accord interbranche de juillet 2007, les plus fragilisés d’entre nous peuvent bénéficier, au titre de la période de professionnalisation, d’un accès aux stages inscrits au plan de formation. Si les difficultés budgétaires persistaient, cet accès sera-t-il remis en cause en 2011 comme il l’a été pour la fin 2010 ?

 

Jean-Yves Boitard : A la date d’aujourd’hui il est difficile de répondre alors que nous n’avons pas perçu la collecte sur les salaires 2010. Le conseil de gestion des intermittents a commencé à préparer les budgets avec cette inconnue : le résultat réel du montant des contributions.

Il y a deux catégories dans le dispositif « période de professionnalisation ». D’une part les formations diplômantes (diplômes d’Etat ou inscrits au RNCP) : nous avons maintenu leur financement dans l’hypothèse d’une subvention du FPSPP. Et d’autre part l’accès aux stages pour les personnes n'ayant plus accès au dispositif du Plan de formation.

Mais si les budgets arrivent à épuisement comme ça a été le cas en 2010, le conseil de gestion devra suspendre cet accès au dispositif.

 

Plateaux : A quoi sont dues ces difficultés budgétaires ?

 

Christiane Bruère-Dawson : Elles sont dues à la hausse fulgurante  de la demande de formation depuis trois ans. Elle est aujourd’hui supérieure à nos ressources.

Il faut rappeler que le dispositif légal de période de professionnalisation n’est ouvert qu’aux salariés sous CDI. Il a été ouvert de manière dérogatoire aux intermittents du spectacle grâce aux partenaires sociaux. Jean Voirin a dit au ministère de l’Emploi : « La notion de CDI pour un intermittent du spectacle doit s'entendre comme le cumul des ses différents contrats successifs effectués dans les entreprises du spectacle vivant et enregistré ».

Pour mémoire, la contribution des intermittents du spectacle doit être, selon le code du travail, de 0,30 % au titre de la période de professionnalisation. On pensait que ce serait suffisant, les intermittents ont le Plan de formation, le CIF, on n’imaginait pas une telle augmentation. Notre Conseil d’administration lui-même n’avait pas alloué un budget suffisant au dispositif. Et même avec les sommes supérieures allouées depuis à la période de professionnalisation et au DIF prioritaire, on ne pourra sans doute pas tout financer en 2011.

De plus, pour la première fois les contributions des intermittents du spectacle jusqu’alors en croissance constante ont été inférieures à celles de l’année précédente. Les intermittents ne connaissaient que 3 % de refus de prise en charge pour raisons financières. Pour rester à ce faible taux nous avons épuisé nos réserves. Il faudra donc que les partenaires sociaux prennent des décisions. Réduire l’accès ou augmenter le taux de contribution ?

L’objectif reste d’essayer de conserver un accès à la formation aux publics les plus fragilisés, qui augmentent, personne ne peut l’ignorer. Nous recevons de plus en plus d’intermittents du spectacle aux abois qui vivent les refus de financement comme une catastrophe.

 

Plateaux : Les critères d’éligibilité du FPSPP permettront-ils –quand les intermittents contribueront au fonds- d’abonder le compte de la professionnalisation sans affecter les contenus de la formation ?

 

C. B-D. : A supposer que nous soyons assujettis au financement du FPSPP –mais nous n’avons pas jusqu’ici de proposition écrite et cohérente du ministère – les partenaires sociaux auraient d’abord à répartir le prélèvement entre les dispositifs. Lequel voudront-ils favoriser ? Le Plan de formation est le point fort de l’AFDAS. Depuis 1972 les commissions paritaires par catégories professionnelles créent ce qu’un employeur crée pour ses collaborateurs. Il permet aux intermittents, avec les stages conventionnés, d’entrer en formation au fur et à mesure de leur demande. Diminuer leur budget serait un gros problème pour les commissions paritaires qui ont déjà dû faire des coupes sombres dans les offres.

On envisagera peut-être une diminution du CIF. Son taux d’accès pour les intermittents du spectacle est de plus de 65 % quand il est inférieur à 50 % pour les salariés sous CDI.

La facilité serait de diminuer surtout la période de professionnalisation car c’est sur ce dispositif qu’on pourrait le plus accéder aux appels à projets du FPSPP. Quant aux contenus de la formation, ce sont les politiques de l’OPCA qui jugent de ce qui est bon pour leurs publics. Les intermittents du spectacle relèvent des catégories de public prioritaires visées par le FPSPP, nombre d’entre eux se sont formés sur le tas et ne sont pas diplômés. Et quelles que soient les actions de formation prioritaires définies chaque année entre l’Etat et le FPSPP, on arrivera toujours à y faire entrer les intermittents.

Pour autant, très honnêtement, le mieux c’est qu’on ne contribue pas à son financement au titre des intermittents car je ne suis pas persuadée qu’on y retrouve nos fonds. Vous avez pu lire dans la presse que l’Etat a ponctionné 300 millions d’euros dans la caisse du FPSPP, qui devra réviser le montant de ses subventions…

Si jamais on devait payer, il faut que 2009 et 2010 soient des années blanches. Sinon on aura une année noire, épouvantable. Cela dépend évidemment du taux de prélèvement décidé chaque année par l’Etat. Pour 2009 c’était 13% mais pour 2010 on attend toujours. Nos dépenses 2010 sont toutes faites, nous sommes en décembre et nous ne connaissons toujours pas ce taux. Qu’attend le gouvernement ? S’il devait être le plus élevé, à 13%, pour le seul CIF ce serait 1,5 millions d’euros à payer, soit un certain nombre de formations.

 

Plateaux : La loi vise à permettre à chacun de progresser d’au moins un niveau de qualification ?

Les parcours de formation diplômante seront-ils « priorisés » ?

 

J-Y. B. : On voit des intermittents, chargés de production dans le spectacle vivant par exemple, obtenir un master par le biais de la VAE (validation des acquis de l’expérience) qui les positionne sur le marché du travail à l’égal de ceux qui ont eu leur diplôme en formation initiale. Les artistes, dont les niveaux de qualification ne sont pas bien déterminés, ne verraient sans doute pas leur carrière changée par l’obtention d’un diplôme. Mais pour quelqu’un qui voudrait s’orienter vers les techniques de massage par exemple, il est judicieux qu’il se donne les moyens d’une véritable formation diplômante. Le diplôme d’Etat de masseur kinésithérapeute est accessible quasiment sans pré requis et lui permettra d’exercer aussi bien dans des spas que dans le paramédical.

Il y a aussi les DE de professeur de danse, de musique, et d’enseignement du théâtre. En termes de capacités pédagogiques, ce ne serait pas si mal si les artistes formateurs qui interviennent en stage aient aussi suivi des modules de formation de formateurs.

 

C. B-D. : Bien avant la loi, qui énonce un principe général sans caractère obligatoire, les formations diplômantes étaient priorisées à l’AFDAS, mais dans leur facilité d’accès plus que dans leur financement. Le pourcentage des financements accordés aux formations purement artistiques reste supérieur à ceux accordés aux formations diplômantes. Les commissions paritaires tiennent à leurs formations artistiques, s’attachent surtout à la qualité de la formation et ne considèrent pas qu’avec un diplôme les artistes seraient mieux insérés dans le métier.

La priorité est donnée, dans le cadre du CIF -où il y a une rémunération- aux formations longues, et en général elles sont diplômantes.

 

Plateaux : Quel circuit pour les professionnels qui ne sont plus ayants droits AFDAS? Doivent-ils s’adresser à Pôle emploi ? A l’AFDAS ? Et comment circule le financement ?

 

C. B-D. : D’abord il faut savoir que Pôle Emploi n’est prêt que depuis très récemment à mettre œuvre les dispositions de la nouvelle loi. Entre-temps nous avons pallié cette situation, notamment pour le DIF porté (les heures non utilisées d’un salarié quand il part d’une entreprise) que gère Pôle Emploi mais que finance l’AFDAS. Notez que le FPSPP prélève L’OPCA pour la formation des demandeurs d’emploi, mais c’est encore l’OPCA qui finance le DIF porté !

Cela étant nous avons établi une convention avec Pôle Emploi qui simplifie la vie des intermittents du spectacle pour le droit à la formation.

 

J-Y. B. : Un courrier d’accord de prise en charge de l’AFDAS dispense l’intermittent du spectacle du parcours auquel un demandeur d’emploi est normalement astreint pour vérifier la cohérence de sa démarche.

Le problème le plus fréquemment rencontré concerne la prise en compte des heures de formation qui, dans la limite de 338 heures et à taux zéro, ouvrent des droits à l’assurance chômage aux intermittents  du spectacle qui ne percevaient plus d’allocations. Tous les agents de Pôle Emploi ne connaissant pas cette disposition légale, il peut y avoir des dysfonctionnements. Néanmoins le principe reste valable.

C’est d’autant plus important que les formations financées par Pôle Emploi répondent à une liste établie dans laquelle l’intermittent du spectacle ne trouverait rien à sa mesure.

 

C. B-D. : Il faut évoquer le rôle d’AUDIENS qui, depuis la création du fonds de professionnalisation accueille et valide des projets de reconversion des danseurs et des artistes de cirque, mais n’agit qu’en subsidiarité, quand il a été démontré que l’artiste n’est plus ayant droit à l’AFDAS. Le circuit est complexe.

Par ailleurs au travers de son fonds social, AUDIENS peut participer au financement d’actions de formations des intermittents du spectacle arrivés en fin de droits.

 

J-Y. B. : En effet AUDIENS a deux volets : l’action sociale et le fonds de professionnalisation. Le groupe a beaucoup communiqué sur ce dernier, qui prévoit d’abord un entretien auprès d’une assistante sociale à l’issue duquel les personnes peuvent être réorientées vers l’action sociale. Dans ce cas l’aide à la formation sera une participation financière limitée à 900 euros et à hauteur de 50% du coût pédagogique restant à la charge de l’intermittent du spectacle. Mais le fonds de professionnalisation peut aussi accorder une aide alimentaire à ceux qui ont des revenus fiscaux faibles, 300 à 600 euros mensuels pendant le temps de la formation. Et souvent, dans le processus de validation de leur projet, où il faut faire intervenir les différents fonds, les personnes se perdent dans d’insupportables allers-retours.

 

C. B-D. : On a essayé d’instaurer pour ceux qui ne sont plus ayants droit une prise en charge des coûts pédagogiques par l’AFDAS systématiquement accompagnée de cette aide alimentaire du fonds de professionnalisation. Mais cela n’a pas marché.

C’est incontestablement compliqué, et s’il existe bien des dispositifs en faveurs des publics fragilisés, cela ne résout pas la question fondamentale : l’AFDAS est construit pour la formation des professionnels. Quand l’argent manque, qu’en est-il de ceux qui après avoir vécu de leur profession se tournent vers l’AFDAS, alors qu’ils n’ont plus travaillé dans le spectacle ces dernières années ? Ils sont de plus en plus nombreux, et il y a de moins en moins de solutions.

Du fait de la crise, l’accueil en face à face est la plus difficile des missions de l’AFDAS, et nos collaborateurs ne sont pas a priori formés pour répondre aux situations de détresse.

Il me semble important pour les artistes comme pour les techniciens qu’ils anticipent leurs besoins de formation et n’attendent pas que leur situation soit devenue critique pour déposer une demande et construire un dossier.

 

J-Y. B. : D’autant que les choses peuvent changer en cours d’année du fait des problèmes budgétaires. Une information donnée le jour où la personne vient se renseigner ne sera peut-être plus pertinente trois mois plus tard. En revanche, on ne revient jamais sur un accord de financement donné, on l’honore toujours.

www.afdas.com

 

Propos recueillis par Gaëtan GALLIER