Article paru dans Plateaux n°192 - 4ème trimestre 2007
Ainsi qu'il l'avait annoncé depuis plusieurs années, le ministère de la Culture et de la Communication a mis en place des diplômes artistiques (1).
La création d'un diplôme national supérieur professionnel de comédien a particulièrement attiré l'attention du SFA qui, après avoir participé à un groupe de travail spécifique, a adressé un courrier le 23 octobre 2007 à Madame la ministre de la Culture.
Dans le même temps était créé un diplôme de musicien, et un diplôme de danseur est actuellement sur les rails.
Le désir du SFA de se positionner sur cette question du diplôme est légitime car sont en jeu des problématiques concernant nos métiers, leur avenir, leurs conditions d'exercice et leur reconnaissance, les formations y conduisant, et -plus largement- l'inscription des métiers artistiques au cœur des autres métiers. En effet, l'engagement de notre syndicat, c'est, entre autres, de « défendre son métier pour mieux défendre son art ».
On le sait, nombre d'artistes ont exprimé une forte opposition à toute idée de diplôme artistique, pour des raisons diverses dont la plus invoquée touche à la préservation de la liberté artistique. Le débat a également traversé le SFA durant les derniers mois. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Rappelons-le, le SFA s'est toujours opposé à une sélection administrative ou corporatiste à l'entrée dans la profession, repoussant toute idée de carte professionnelle. Et, si diplôme il y a, il ne doit aucunement servir de droit d'exercer, ni même de droit de se dire (cf. le courrier à Mme Albanel). Pourtant, certaines déclarations ministérielles peuvent prêter à confusion. Ainsi, lors de son intervention du 13 octobre 2005 durant laquelle il a présenté le projet de diplôme pour la danse, le précédent ministre de la Culture précisait : « Bien entendu, les écoles supérieures ne sont pas la seule voie vers la professionnalisation, et l'existence de ce diplôme ne fermera pas la porte à des parcours plus atypiques. » Or, en présentant comme « atypiques » les parcours des danseurs professionnels n'étant pas issus de ces seules écoles (ceci est bien sûr valable plus largement pour l'ensemble des artistes interprètes, dont les comédiens), on risque de définir a contrario ce qui serait le « type » - c'est-à-dire, d'après le Petit Robert, le « modèle idéal », la « norme » ou l’« exemple ».
Professionnalisation : sélection ? uniformisation ?
Pour le SFA, la « professionnalisation » du métier de comédien et des secteurs du spectacle passera par la valorisation des pratiques professionnelles, la reconnaissance des compétences qu'elles mobilisent, le renforcement des droits des professionnels, la reconnaissance des métiers artistiques comme devant bénéficier de la même légitimité que les autres métiers, la structuration du secteur pour l'amélioration de son fonctionnement - non par la mise en place de procédures définissant un droit à exercer. Si un diplôme peut participer à la reconnaissance du professionnalisme de qui le possède, il ne doit occasionner aucune restriction pour qui ne le posséderait pas.
Une fois exprimé le refus de tout contrôle à l'entrée dans nos métiers, une fois rappelée la crainte d'un possible formatage malthusien, une fois proclamée la nécessité de la liberté dans tout acte artistique, le SFA a décidé de participer aux réunions du groupe de travail préparatoires à la rédaction des textes portant création du diplôme national supérieur professionnel de comédien.
Demeurant vigilant, le syndicat a pris acte que les textes font expressément référence « aux métiers de musicien, de danseur, de comédien ou d'artiste de cirque », estimant que les réflexions autour d'un tel dispositif peuvent permettre à la profession de disposer de ses propres références, de se penser réellement comme un métier, adossé à la définition fondatrice, mais floue socialement, d'artiste ; un métier irréductible aux autres métiers certes, mais possédant également des attributs et des droits, comme les autres métiers. Ainsi, dans certaines conditions, les professionnels du spectacle pourraient disposer de qualifications repérables et référencées.
Un référentiel, pour quoi faire ?
Les thèmes abordés durant les réunions concernaient l'accès à la formation et son déroulement, le déroulement des études et leur évaluation, la relation entre formation dans l'établissement et mise en situation professionnelle, le suivi de l'insertion professionnelle des étudiants et la très importante question du référentiel d'activités professionnelles. En effet, le recours à un référentiel entérine que le métier de comédien (plus largement l'ensemble des métiers artistiques) mobilise des compétences, qu'il s'inscrit dans un univers professionnel et des conditions d'exercice reconnues.
L'idée d'un référentiel, son contenu tel qu'il a été proposé, la description de « connaissances, compétences, attitudes » ont pu entraîner de vives réactions, exprimant la crainte -compréhensible- d'un appauvrissement, d'un dessèchement, d'une banalisation de l'acte artistique. Cependant, si l'on pense qu'être comédien professionnel, ce n'est pas le fait de la seule inspiration ou de la désignation immatérielle d'un possesseur de talent dégagé des contraintes du faire, alors la rédaction d'un référentiel d'activités est importante car elle induit une réflexion sur la réalité du métier de comédien, sur ce qui constitue l'activité professionnelle, sur ce qui la distingue et la rapproche des autres métiers, sur ce qui fonde l'art du comédien en métier : un métier comme tous les autres, différent de tous les autres. Certes, être comédien (être artiste interprète), ce n'est pas seulement un métier, c'est un choix de vie ; cependant, une recherche absolue, radicale, de la seule différenciation d'avec les autres humains au travail ne nous donnerait que le choix entre vivre dans un ghetto ou dépendre de l'assistance de la société.
Des artistes qui se battent pour défendre leurs droits sociaux et professionnels en même temps que leur art, pour faire reconnaître la place qui doit être la leur et celle de leur art dans la société, peuvent-ils s'offusquer à l'idée de dire : « Oui, nous savons des choses ; oui, nous avons des connaissances ; oui, nous pouvons parler de ce qui constitue notre métier ; oui, nous pouvons le partager, en toute connaissance et en toute conscience avec ceux, plus jeunes que nous, qui souhaitent nous rejoindre » ?
Un diplôme de sortie ?
Certes, toute ambiguïté n'est pas levée lorsque l'on relève par exemple que, selon le précédent ministre de la Culture (lors de sa conférence de presse du 5 octobre 2005), le diplôme de comédien « aura essentiellement pour vertu de ménager aux comédiens qui le possèdent une possible reconversion si leur carrière devait être interrompue. Utile, il ne sera pas un sésame pour la scène ». On peut s'étonner que les initiateurs d'un diplôme professionnel précisent que l'usage de celui-ci est « essentiellement » de se préparer à un autre métier !
Cependant, un aspect important d'un diplôme est qu'il atteste d'une qualification, qu'il la « certifie ». Or, pourquoi, de tous les métiers, celui d'artiste serait l'un des seuls pour lequel on ne dirait pas à des personnes sortant d'une formation longue et de qualité, une formation qui révèle toutes sortes de compétences et exige toutes sortes d'aptitudes, pourquoi, donc, ne leur dirait-on pas : « Oui, nous actons que vous avez suivi cette formation supérieure et que cela a une valeur reconnue ; oui, nous certifions que vous avez acquis une qualification » ? Pourquoi, à l'issue d'une formation, les artistes eux seuls seraient privés de cette reconnaissance, de cette certification ?
Une formation, comment ?
En effet, c'est bien dans le cadre de la formation qu'on se place ici : l'apprentissage de connaissances spécifiques, la familiarisation avec des compétences, des savoir-faire qui seront mis au service de la création artistique, la découverte concomitante des richesses et des contraintes du métier, la maîtrise de techniques qui permettront d'aller plus loin encore dans l'exploration de l'imaginaire, la maîtrise de son corps en jeu (parfois pour des dizaines de représentations), l'appropriation de moyens qui permettront de se confronter avec toutes sortes d'œuvres.
On parle bien ici de la formation de futurs professionnels, à qui on va donner les moyens de développer, de consolider leurs capacités. On se trouve face à cette responsabilité-là. Or, savoir jouer ne s'insuffle pas, cela aussi s'apprend ! Pas n'importe comment, pas avec n'importe qui. Si on se pose collectivement la question de la formation, comment éviter une réflexion collective sur ce à quoi on forme, sur comment on forme, sur les contenus, les objectifs de la formation, et sur ses effets (comment, durant la formation, les élèves / les étudiants ont avancé, comment ils se sont transformés).
Il est de la responsabilité des enseignants, des formateurs, d'expliciter ce qu'ils enseignent, comment ils enseignent et comment ils s'assurent que les élèves ont assimilé ce qu'ils enseignent. Les élèves (de même que la tutelle et les professionnels siégeant par exemple dans les commissions d'habilitation) doivent pouvoir connaître les critères d'évaluation des professeurs et / ou des membres de jurys : le libre arbitre ou l'appréciation personnelle « en toute conscience » ne suffisent pas (2).
Une responsabilité collective
Il est indispensable, collectivement, de se demander ce qui est enseigné, appris, découvert durant une formation, et, par voie de conséquence, ce qui doit être assimilé. On ne peut pas faire l'économie de la conception et de l'écriture d'un contenu de formation, appuyé sur un référentiel. Pour aucun autre métier on n'oserait protester contre le fait de définir ce que l'on veut transmettre, ce à quoi on veut préparer le futur professionnel.
Si la formation artistique, c'est donner des moyens supplémentaires (connaissances, techniques, habiletés, prise de conscience, capacités de réflexion) à un individu pour qu'il développe ses capacités d'expression artistique, pour qu'il approfondisse son univers artistique, sa capacité à rencontrer l'univers d'un autre artiste (auteur, metteur en scène, chorégraphe, musicien, comédien, plasticien...), si c'est le faire se confronter au regard de l'autre, à des contraintes, si c'est lui proposer des enjeux afin qu'en les affrontant il continue de construire sa propre identité d'artiste, comment le faire en n'ayant pas un langage explicite, saisissable parce que partageable.
Rien n'est plus hypocrite que le seul « colloque singulier » du maître et de l'élève, où ce dernier n'aurait pas la connaissance du chemin parcouru, où il dépendrait -vis à vis de l'enseignant- de sa seule appréciation « en toute conscience ». Il est légitime de demander à tous ceux qui interviennent dans des écoles de théâtre -a fortiori si ces équipes pédagogique fonctionnent avec des fonds publics, sous la tutelle publique ou en relation avec la profession- de se référer à un contenu de formation, lui-même adossé, dans la diversité, au contenu du quotidien de l'artiste.
Tous ces thèmes font partie intégrante des préoccupations du SFA. En participant activement à la commission professionnelle consultative (CPC) du spectacle qui, entre autres, étudie la création de diplômes professionnels, le syndicat entend être présent au cœur des débats qui concernent les artistes professionnels, afin de préserver leurs intérêts durant toute leur carrière et de contribuer au respect et à la reconnaissance du métier d'artiste interprète, dans toute sa diversité.
Xavier TIMMEL
(1) : Décret n° 2007-1678 du 27 novembre 2007 relatif aux diplômes nationaux supérieurs professionnels délivrés par les établissements d'enseignement supérieur habilités par le ministre chargé de la Culture dans les domaines de la musique, de la danse, du théâtre et des arts du cirque et à la procédure d'habilitation de ces établissements.
(2) : De même que ne suffit pas l'appréciation de ce professeur du Conservatoire qui, au moment de l'examen des parcours des différents élèves, aurait dit : « Ils sont tous formidables » !