Le film d’animation en danger : à l’international, les syndicats déclarent l’urgence face à l’utilisation des IA génératives

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6 Juin 2025

Cette déclaration est rédigée et soutenue par un regroupement international de syndicats et associations du film d’animation, du jeu vidéo, de scénaristes et du VFX, appelant à une action concernant l’utilisation des IA génératives et ses impacts destructeurs, non seulement sur l’ensemble de l’industrie de film d’animation et du médium en lui-même, mais également sur ses travailleur·euses, sur la culture et notre planète.


C’est un fait indéniable : l’industrie du film d’animation souffre grandement depuis plusieurs années. L’économie des plateformes de streaming s’est essoufflée et les dépenses multipliées pendant la pandémie ont mené à une inévitable explosion de la bulle de streaming. Les travailleur·euses, engagé·es sous de belles paroles, sont les premier·es à en ressentir les répercussions, via des licenciements massifs, la délocalisation de leurs emplois, des fusions, liquidations et redressements judiciaires qui mènent à la fermeture de studios et à des budgets de plus en plus restreints. La situation se répercute sur l’ensemble des industries audiovisuelles et vidéoludiques et touche les travailleur·euses du film d’animation, de la musique, du VFX et du jeu vidéo.

L’expansion rapide des IA génératives dans l’animation est propulsée par la croyance qu’elles seraient une réponse à la crise. Travailler dans ces secteurs professionnels est une bataille constante pour prouver notre valeur à un nombre très restreint de personnes. Et aux yeux de ces dernières, ce qu’offrent les IA génératives est presque trop beau pour être vrai : une technologie quasi magique qui peut produire des mots, des images et du son à partir d’une simple et vague description écrite.

Les IA génératives ne sont pas un outil, pas plus qu’elles ne sont efficaces ou rentables. Elles sont une machine à copier biaisée, destructive et coûteuse à faire fonctionner. Les IA génératives se construisent littéralement sur les œuvres protégées par le droit d'auteur et les travaux des artistes sur lesquels elles ont été entraînées, mais également sur toutes les cultures locales et valeurs humaines intégrées dans ces travaux. Elles posent une menace immédiate à l’innovation créative et à son renouveau, remplaçant la richesse et la diversité qui caractérisent la créativité humaine par une copie biaisée et dénaturée de son intégrité. Elles mettent en danger les métiers créatifs et techniques dans chacune des industries citées, ce qui mènera à terme non seulement à une perte inévitable de savoirs et de talents perdus à jamais, mais également à la privatisation de tout processus artistique et de la pensée elle-même.

Les IA génératives sont une technologie qui ne vise pas à soutenir les artistes mais à les détruire. Leur absence d’humanité en est une composante essentielle, pas un bug. Nous “n’utilisons” pas les IA génératives, nous négocions avec elles pour tenter d’orienter leurs productions vers le résultat que nous souhaitons obtenir. Elles sont alors la promesse d’une perte d’emploi, de carrières et de moyens de subsistance de millions de personnes qui, dans le monde entier, œuvrent au maintien du lien social et humain à travers leur travail.

Malheureusement, les industries audiovisuelle et vidéoludique ne sont pas les seules victimes de ce développement technologique néfaste. Ces mêmes technologies servent à créer et propager de la désinformation et de la confusion au sein de la population, et ont des conséquences à l’échelle internationale au-delà même des questions de sécurité, notamment la fabrication de fausses preuves et informations, de nouvelles formes de harcèlement sexuel et moral, incluant les deepfakes pornographiques et la violation de vie privée. La puissance informatique nécessaire pour entraîner et utiliser les modèles d’IA génératives demande une quantité d’électricité et d’eau qui mettent directement en danger les ressources vitales à l’humanité. Cette croissance, non encadrée et justifiée par un optimisme technologique illusoire, se double de conséquences environnementales désastreuses et démesurées, par la demande toujours plus croissante de puissance informatique, mais aussi d’empreinte carbone, d’une augmentation des besoins en eau et électricité, et d’un épuisement accéléré des ressources naturelles, par ailleurs souvent exploitées dans des conditions allant à l’encontre des droits humains.

Dès lors, l’utilisation des IA génératives demande un cadre de protection éthique et juste pour tous·tes. Nous nous référons entre autres à la note de recherche de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), qui propose le concept des “3C” (Compensation, Contrôle de l’utilisation des travaux des créateur·ices, Consentement éclairé) mais en appelons également aux politiques nationales et internationales, à protéger les travailleur·euses touché·es par les utilisations des IA génératives.

  • Consentement : un véritable équilibre entre progrès technologique et durabilité du secteur culturel et créatif ne peut exister que si l’entraînement des IA génératives sur des œuvres protégées repose sur le consentement explicite des créateur·ices

  • Compensation : les auteur·ices et créateur·ices doivent obtenir une rémunération juste et proportionnée pour l’exploitation de leur travail et de leurs œuvres dans le cadre de l’entraînement des IA génératives, incluant entre autres les illustrations, animations, les écrits, les voix, photographies et autres images.

  • Contrôle : les créateur·ices, tel·les que les auteur·ices, musicien·nes, réalisateur·ices, artistes visuel·les et autres professionnel·les des secteurs culturels, doivent pouvoir garder la main sur leur travail, la manière dont il est utilisé, identifié, adapté et reproduit par les IA génératives. Ce contrôle implique que la propriété intellectuelle, le travail et la réputation des créateur·ices soient respecté·es par l’intermédiaire d’une reconnaissance et d’une compensation justes. À cette fin, les créateur·ices doivent avoir accès aux implications des IA génératives et créer du lien entre elles et eux pour négocier au mieux les conditions d’emploi.

Nous appelons les régulateur·ices, législateur·ices et gouvernements à lutter pour la culture et les arts, ainsi que pour la valeur qu’ils apportent, et à produire une législation à même de protéger les travailleur·euses et leurs droits.

Nous appelons les producteur·ices, chef·fes de studios, diffuseur·ices et distributeur·ices à comprendre et protéger nos cultures créatives et à prioriser à la fois les travailleur·euses et leurs travaux.

Nous appelons tous et toutes les travailleur·euses créatif·ves, à l’échelle mondiale, à s’unir et à se joindre à la lutte. Nous demandons à ce que vous souteniez les œuvres créées par l’humain. Nous demandons à ce que vous éleviez la voix contre l’utilisation des IA génératives dérégulées. Nous demandons à ce que vous vous informiez et vous syndiquiez avec vos collègues pour soutenir nos productions et créations artistiques, nos emplois et moyens de subsistance.

 

Signé et soutenu par :

  • ABRACA (Belgique, syndicat de travailleur·euses du film d’animation)
  • AGRAF (France, association pour les réalisateur·ices, auteur·ices graphiques et littéraires du film d’animation)
  • AWI (Irlande, syndicat de travailleur·euses du film d’animation)
  • CNT - SIPMCS (France, syndicat de travailleur·euses de la presse, des médias et des métiers de la culture et du spectacle)
  • CSVI (Espagne, syndicat de travailleur·euses du jeu vidéo)
  • FIA (Fédération Internationale des Acteurs)
  • FIM (Fédération Internationale des Musiciens)
  • FNSAC-CGT (France, Fédération CGT des syndicats du spectacle vivant et de l’audiovisuel)
  • La Guilde des scénaristes (France, syndicat de scénaristes)
  • GWUI (Ireland, syndicat de travailleur·euses du jeu vidéo)
  • Les Intervalles (France, association de lutte contre les abus et discrimination dans le film d’animation)
  • Kunstenbond (Pays-Bas, syndicat de travailleur·euses du film d’animation, de l’illustration de la bande-dessinée)
  • La Ligue des auteurs professionnels (France, syndicat d’auteur·ices du livre)
  • Syndicat des Scénaristes (France, syndicat de scénaristes)
  • SFA-CGT (France, syndicat de comédien·nes de doublage et acteur·ices)
  • Snam-CGT (France, union nationale des musiciens et musiciennes interprètes et enseignant·es)
  • SNTPCT (France, syndicat de travailleur·euses du film d’animation et du VFX)
  • SPIAC-CGT (France, syndicat de travailleur·euses du film d’animation)
  • STJV (France, syndicat de travailleur·euses du jeu vidéo)
  • TAG (USA, syndicat de travailleur·euses du film d’animation et de scénaristes)
  • Uni MEI (International Art and Entertainment Alliance)
  • Unie van Regisseurs (Belgique, syndicat de réalisateur·ices)
  • United Voice Artists (Coalition internationale de syndicats, associations et organisations de comédien·nes de doublage)
  • Les Voix (France, association de comédien·nes de doublage)