Nous avons écouté avec attention ce jour l’allocution du Premier ministre au Conseil économique, social et environnemental, au cours de laquelle il a dévoilé la fameuse architecture de la réforme des retraites. Nous ne pouvons que confirmer ce que nous pressentions : les artistes interprètes, dont beaucoup ont des carrières hachées, discontinues, faites de hauts et de bas, ont tout à perdre.
Tout d’abord, il est important de rappeler qu’un système de retraite par points, tel que pensé par le gouvernement, n’est pas un système progressiste. Édouard Philippe a martelé à plusieurs reprises dans son discours que la loi garantira la valeur du point…avant d’ajouter que ce sont les partenaires sociaux (c’est-à-dire les syndicats de salarié·e·s et les organisations patronales) qui définiront cette valeur, sous le contrôle du parlement. Quelle sera l’étendu du contrôle du parlement ? Nous ne le savons pas. Le Premier ministre a aussi parlé d’indexation progressive du point sur les salaires, et non pas sur l’inflation, « les salaires augmentant plus vite que l’inflation ». Plusieurs exemples dans nos secteurs infirment cette déclaration. Par exemple, la grille des salaires des artistes interprètes embauchés à Radio France pour l’enregistrement de fictions n’a pas évolué depuis 2010, or l’inflation a, elle, évolué. On peut donc dire qu’à euro constant, les salaires ont diminué à Radio France. Il arrive aussi que des négociations sur les salaires échouent, ou soient moins importantes que l’inflation. L’affirmation d’Édouard Philippe comme quoi l’indexation sur les salaires sécuriserait le point est tout d’un coup moins vrai.
Ensuite, le Premier ministre opère un tour de « passe-passe » sur l’âge du départ à la retraite. Il est ainsi toujours question d’un âge minimum de départ à 62 ans. Oui mais… Partant du constat que les Français·e·s vivent plus longtemps, Édouard Philippe trouve visiblement dommage de ne pas en profiter pour travailler plus longtemps. Il faut ainsi « inciter » à travailler plus longtemps, avec la mise en place du fameux âge pivot (ou âge d’équilibre), fixé à 64 ans, à l’échéance 2025. Celles et ceux qui partiront avant auront un malus. Celles et ceux qui partiront après auront un bonus sur leur pension de retraite. Et qui définira le système de bonus/malus ? Les partenaires sociaux encore une fois… s’ils s’entendent. En cas d’échec, c’est la loi qui définira ces bonus/malus. Certes, les Français·e·s vivent plus vieux. Mais vivent-ils bien ? Une étude de l’INED parue début 2019 nous apprend que l’espérance de vie en bonne santé en France a reculé, faisant de notre pays un mauvais élève à l’échelle européenne. Ainsi l’espérance de vie en bonne santé pour une femme est de 64,1 ans et pour un homme de 62,7. Et il faudrait partir à la retraite plus tard ? À cela s’ajoute le fait que beaucoup de travailleurs·euses séniors peinent à trouver un emploi, et c’est souvent le cas dans nos métiers aussi. Alors c’est l’assurance chômage, voire le RSA, qui sera appelée à maintenir ces « séniors »en survie jusqu’à ce que certain·e·s d’entre eux puissent prétendre à une retraite un tant soit peu digne. Si on tire davantage sur l’assurance chômage pour les travailleuses et travailleurs plus âgé.e.s, il y a fort à parier que les indemnités de chômage vont baisser, et les critères pour les obtenir vont être durcis. Quid de l’annexe 10 ?
Enfin, en imposant l’universalité du système de retraites, le gouvernement entend répondre au fait que « nos enfants auront des carrières moins linéaires ». La consultation menée par le SFA auprès de ses adhérent·e·s récemment a révélé que 64% des personnes qui ont répondu ont exercé d’autres métiers au cours de leur carrière, soit avant de s’orienter vers une profession artistique, soit alors qu’ils ou elles étaient déjà artiste interprète, pour des raisons financières principalement (job alimentaire ou réorientation de carrière pour vivre de manière plus correcte). Nous, artistes, connaissons donc déjà cette non-linéarité de carrière, et si « chaque heure travaillée rapportera un point » comme l’affirme le Premier ministre, qu’en sera-t-il de chaque heure chômée, alors qu’une écrasante majorité d’artistes interprètes sont intermittent·e·s ? Il serait question de points alloués pour compenser le chômage, mais M. Philippe n’en a pas dévoilé les modalités. Et nous avons eu encore une fois la conformation que la fameuse pension minimale à 1000 euros nets ne concernera que les carrières complètes au SMIC. Et rares sont les artistes à connaître une telle carrière…
Cette réforme n’est donc ni juste, ni équitable, ni responsable, pour reprendre les 3 principes énoncés par le Premier ministre. Elle rompt, quoiqu’il affirme, avec le principe de solidarité intergénérationnelle, puisqu’elle sacrifie les futures générations, à travers l’entrée en vigueur progressive de cette réforme. Nous devons donc maintenir la pression et poursuivre la mobilisation par tous les moyens possibles : grève, manifestations, sensibilisation de nos collègues, etc.
Nous vous donnons donc d’ores et déjà RDV demain jeudi 12 dans la rue ! Et d’ores et déjà, notez que mardi prochain, 17 décembre, une grande manifestation est programmée à Paris. Rapprochez-vous de vos sections SFA et Unions locales et départementales CGT pour organiser les moyens de transport. Et n’oubliez pas, la grève reste à l’ordre du jour, nous ne laisserons pas la révolte et la résistance aux seuls cheminots !