Article paru dans Plateaux n°201 - 2ème trimestre 2010
Lettre de Pierre Dux à Gérard Philipe
Monsieur,
Une politesse en valant une autre, cette lettre sera recommandée, comme votre lettre du 21 mars. J'en profiterai pour vous renouveler ma démission du Syndicat Français des Acteurs, donnée le 14 mars par simple lettre. Vous n'avez certainement pas pensé sérieusement qu'ayant rompu avec le Syndicat j'accepterais de comparaître devant le Conseil. Voici donc ma réponse, écrite.
Depuis longtemps je regrettais que le Syndicat des Acteurs qui, du fait des particularités de notre art, devrait avoir sa personnalité, ses buts propres et ne ressembler à aucun autre, soit englobé sous prétexte d'efficacité dans une vaste organisation syndicale qui, déjà, lui donnait une orientation politique.
A ce regret s'est ajouté celui de constater la présence, à la tête du nouvel organisme, de plusieurs personnalités trop marquées politiquement par de nombreuses manifestations publiques de leurs opinions.
Toutefois, j'attendais les premières initiatives du nouveau Conseil. Elles viennent de se révéler au public et aux acteurs, sous la forme d'une grève, dont je vous ai déjà dit que je ne reconnaissais pas le bien-fondé, et dont le but officiel, dérisoire par rapport à l'arme dangereuse qu'est la grève, ne peut suffire et ne suffit pas à en expliquer le déclenchement.
Cette grève a constitué pour moi une atteinte à la liberté professionnelle qui m'obligeait à réagir. Ma réaction a consisté à rompre avec le Syndicat le 14 mars, sans publicité. Ma décision et quelques autres ont été révélées par un journal, le 19 mars. L'article parlait de scission au sein du Syndicat. J'ai démenti pour ma part l'idée de scission, et confirmé ma démission en en donnant les raisons. Le texte de ma déclaration a paru, le 20 mars.(…)
Quant à l'unité des acteurs, au crédit du Syndicat, ce n’est pas de mon fait qu'ils courent le moindre risque. Mon importance sur le plan professionnel et syndical, aux yeux du public et, croyez-le, à mes propres yeux, est loin d'être aussi grande que vous me faites l'honneur de la supposer.
Je vous adresse, moi aussi, Monsieur, mes salutations
Pierre DUX Le 24 avril 1959
Réponse de Gérard Philipe à Pierre Dux
Monsieur,
Mes occupations professionnelles et syndicales ne m'ont pas permis de vous répondre plus tôt et je vous prie de m’en excuser.
Je pense d'ailleurs que vous n'attendiez point de suite à votre lettre; pourtant, étant donné l'estime que nous devons avoir pour un camarade qui compte, à juste titre, dans notre profession, il nous a paru indispensable de ne pas vous laisser penser que vos arguments sont sérieux.
Vous dites regretter que « le Syndicat des Acteurs qui, du fait des particularités de notre art, devrait avoir sa personnalité, ses buts propres, et ne ressembler à aucun autre, soit englobé sous prétexte d'efficacité dans une vaste organisation syndicale qui, déjà, lui donnait une orientation politique ».
Croyez-vous, Monsieur, que depuis 1936, date à laquelle l'Union des Artistes a adhéré à la CGT, nos organisations aient démérité de « notre art », de sa « personnalité » et de ses « buts propres » en obtenant, entre autres :
1. La reconnaissance de la qualité de salarié, grâce à laquelle les acteurs bénéficient de toutes les lois sociales ;
2. Le repos hebdomadaire ;
3. Les matinées payées ;
4. L'abrogation par le Parlement de la loi Blum-Byrnes, qui mettait en péril le Cinéma français ;
5. La reconnaissance du droit de suite à la télévision ;
6. Un dégrèvement supplémentaire, appréciable sur le plan fiscal ;
7. La retraite complémentaire, etc.
Où voyez-vous dans tout cela, dont vous profitez, quelque chose qui soit contraire à notre «personnalité» ou qui soit orienté politiquement ?
Peut-être avez-vous relevé dans nos actions diverses depuis 1936 un fait, une prise de position quelconque qui justifie votre position et que nous omettrions... Si vous nous signalez quoi que ce soit de cet ordre, nous nous engageons à le publier dans notre prochain Courrier.
Vous faites allusion, plus loin, Monsieur, à la présence à ta tête de notre organisation, de «personnalités trop marquées politiquement ». Ceci est une interprétation que l'on pourrait qualifier facilement de tendancieuse, mais laissons cela et allons au fond du problème. Voulez-vous dire qu'un homme qui a des opinions doit être exclu de toutes actions syndicales ? Non, n'est-ce pas, ce serait particulièrement absurde. Ce que vous voulez dire, sans doute, c'est que ces personnalités influencent fâcheusement la ligne syndicale dans un sens politique ? Cela n'est pas très courtois à l'égard de ces conseillers qui, si nous vous comprenons bien, seraient malhonnêtes ? Mais parlons plus net, si ces camarades avaient réussi cette entreprise de politisation, elle se traduirait dans des faits; lesquels ?
La grève ? Savez-vous que nos anciens, à l'Union des Artistes, avant d'être adhérents à la Fédération du Spectacle, l'ont faite et courageusement, avec piquets de grève ! Quant à la nôtre, si les augmentations diverses qu'elle a permis d'obtenir vous semblent « dérisoires », laissez-nous penser que heureusement pour vous, vous êtes mauvais juge de ces problèmes. Laissez-nous ajouter que cette grève a évité le pire à notre organisation qui se voyait pratiquement réputée sans force, et qu'enfin, tout mal entendu étant aplani, nous avons obtenu un accord plus étroit avec les directeurs pour tenter de défendre notre métier dans la crise actuelle.
En conclusion, notre Conseil syndical n'a pu accepter votre démission et a prononcé votre exclusion du Syndicat Français des Acteurs comme prévu à l'article 16 des statuts, pour acte d'indiscipline syndicale par refus d'acceptation et d'exécution des décisions du Syndicat en matière professionnelle. ».
Nous vous signalons que vous pouvez faire appel de cette décision devant le Conseil Syndical, dans un délai de quinze jours à dater de la réception de la présente lettre.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos sentiments les plus syndicalistes.
Pour le Conseil Le Président Gérard PHILIPE