Article paru dans Plateaux n°202 - 3ème trimestre 2010
"Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés…"
De toutes parts le spectacle vivant est frappé et la peste qui le frappe se nomme "choix politique de restrictions budgétaires".
Dans un communiqué au mois de juillet le SFA déclarait :" Le TEP, tout un symbole, est en passe de disparaître en tant qu’outil de création théâtrale. Peut-on simplement dire : "Attention, Théâtre de l’Est Parisien en danger" ?
Derrière l'étranglement économique, le garrot devrait-on dire, se cache une entreprise qui ne dit pas son nom : la liquidation systématique de l'héritage de la Décentralisation dramatique et de tout ce qui est né de l'aspiration démocratique d'une culture partagée.
Sans déclaration d'intention tonitruante, à l'abri des projecteurs, le ministère de la "déculture" attaque une à une les entreprises artistiques et culturelles. Il s'emploie avec application à "défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance" suivant en cela la recommandation fortement teintée d'esprit revanchard que faisait l'idéologue du Medef, Denis Kessler, dans un article d'octobre 2007.
Trop de scènes nationales, alors, n'est-ce pas, le ministère mutualise les moyens : c'est en cours entre Montbéliard et Belfort, plus ou moins à l'étude entre Nancy et Vandœuvre ... Trop d'entreprises de création, qu'à cela ne tienne, à la fin du contrat de l'artiste, on nomme un non artiste, on transforme la mission de l'établissement et le tour est joué : exit la création ! L'affaire a été pliée sans grand bruit au théâtre Le Passage à Fécamp. Chaillot depuis longtemps n'est plus voué à la création théâtrale, les Bouffes du nord non plus, ni le théâtre Sylvia Monfort… Seul jusqu'ici le projet de faire absorber la MC 93 par la Comédie Française a été mis en échec par la levée de boucliers et le boucan, justement, qu'il a suscité !!!
Faire de deux établissements un seul, faire disparaître la mission de création dramatique et s'attaquer aux symboles historiques, voilà les objectifs que poursuivent les bâtisseurs de ruines actuellement à la tête de ce ministère-là. Le ministère saccage, dilapide un patrimoine qui lui a été confié et qui ne lui appartient pas (Il est allé jusqu'à vendre à un prince pétrolier l'hôtel dans lequel logeait l'ex DMDTS !)
Le méchant scénario concocté pour le TEP par la DGCA, entendez la Démolition Générale de la Création Artistique illustre bien cette opération.
Petite chronologie.
Le 5 février, le personnel du TEP réuni en assemblée générale apprend par sa directrice, Catherine Anne, auteur, metteur en scène, comédienne (triade plutôt rare à ce poste) que son contrat ne sera pas renouvelé après le 31 décembre 2010 (il sera finalement prolongé jusqu'à fin juin 2011). Aucune précision ne lui a été donnée sur le projet de la direction qui lui succèdera.
Inquiet, le personnel écrit dix jours plus tard une lettre au Directeur de la DGCA, suivie d'une autre le lendemain de la déléguée syndicale et du personnel. Ces courriers resteront sans réponse. Le directeur observera le même mutisme après réception du courrier signé conjointement par le secrétaire général du SYNPTAC et la déléguée du TEP.
Fin Avril, il rend enfin visite aux salariés et les informe que parmi les diverses idées envisagées, l'installation de Valérie Baran et de son équipe du TARMAC sera sans doute retenue !!! Mais il restera dans le flou sur la nature de ce futur projet, sur les conséquences pour le personnel d'une éventuelle "fusion" ainsi que sur le maintien de comédiens engagés à l'année dont il ignorait d'ailleurs l'existence ! Quant à l'avenir du Tarmac, il assure qu'il ne disparaîtra pas et sera simplement "remis aux normes".
Le 12 mai il confirmait par téléphone, espérant qu'il n'y aurait que peu de licenciements (!), que c'était bien le projet Tarmac qui allait être mis en œuvre en juin 2011 (rappelons que le Tarmac développe une programmation largement ouverte sur la francophonie, en particulier africaine, projet d'accueil fort intéressant mais d'accueil, non de création !!!).
Le 19 mai la déléguée du personnel écrivait une longue lettre au Directeur de la DGCA dans laquelle elle lui annonçait que " l’équipe du théâtre s’oppose fermement à la délocalisation d’un théâtre (le Tarmac) et de son équipe dans notre théâtre". Aucune réponse ne sera reçue sinon un dérisoire accusé de réception du cabinet du ministre !
Enfin, dans un entretien paru le 28 juin dans la lettre du spectacle, Valérie Baran confirmait que la proposition lui avait été effectivement faite "oralement" par le ministère, ajoutant qu'elle "pensait pouvoir reprendre un bonne partie du personnel".
A l'heure où nous écrivons rien n'a été écrit par le ministère, rien n'a été dit publiquement.
Le 5 juillet le personnel du TEP signait un communiqué dans lequel il s'indignait qu'on puisse "lancer une OPA sur un théâtre" et exprimait sa colère d'être traité avec tant de mépris "Est ce là un sujet si léger pour annoncer à une équipe (par voie de presse qui plus est) que leur théâtre va être "fusionné" à un autre en entraînant des licenciements". Imaginons quelle sorte de confiance pourrait naître entre direction et salariés si un tel scénario devenait réalité !
Le SFA ajoutait dans son communiqué qu'il "s’élève contre la mise à l’encan de la création artistique ! Il dénonce fortement cette politique de désertification qui accompagne l’attaque idéologique plus sournoise – et plus profonde – contre l’intelligence, la création et l’imaginaire".
Nous devons nous opposer à cette peste et à ce démantèlement silencieux avec plus de détermination !
Certes nous devons continuer à mener la bataille pour obtenir et pérenniser les moyens économiques nécessaires pour la culture et la création artistique dans toutes les disciplines du spectacle vivant, mais nous devons impérieusement mettre sur le même plan la bataille pour le contenu des missions des établissements, elle est capitale : c'est là que réside le sens de nos entreprises et de nos emplois. De ce point de vue, la revendication du SFA pour une présence d'artistes interprètes permanents dans certains CDN est un enjeu majeur que nous devons porter avec force.
"Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés…"
Beaucoup déjà parmi les plus fragiles sont sur le carreau et nombreuses sont les compagnies indépendantes et les "petits" lieux qui se sont évaporées comme rosée d'aurore sans faire trop de vagues…accompagnés en guise d'oraison par les protestations et l'indignation d'usage des organisations professionnelles ! Nous devons prendre toute la mesure de ce qui est en jeu. Sortir de l'accablement…et hausser le ton.
AD