TEP, suite…et fin ?

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Article paru dans Plateaux n°203 - 4ème trimestre 2010

A l'initiative de la Fédération du spectacle CGT, une conférence de presse a été organisée le 2 novembre conjointement avec le SYNDEAC, le PROFEDIM et les organisations membres de l'UFISC (Union fédérale d’intervention des structures culturelles) afin de dénoncer les mesures que le gouvernement s'apprête à prendre et l'asphyxie qui en résultera pour le secteur du spectacle vivant. Régression budgétaire, gel des dotations de l'Etat aux principaux partenaires que sont les collectivités territoriales et autres innovations administratives, toutes mesures visant à étrangler la création artistique et à détruire tout ce qui été mis en place depuis la Libération dans le droit fil de la Décentralisation « née de l'aspiration démocratique d'une culture partagée ».

 

Initialement prévue pour mettre en lumière les manœuvres que le ministère concocte dans la pénombre concernant le TEP, on comprend que les organisateurs aient voulu inscrire cette information dans une dénonciation plus générale. Ce faisant, et l'absence totale d'écho dans la dépêche de l'AFP en témoigne, l'affaire du TEP a été quelque peu noyée et réduite à un exemple illustrant la politique néfaste du gouvernement. C'est tout à fait regrettable.

 

Un enjeu pas suffisamment mis en évidence

 

Ce qui se joue actuellement au TEP est d'importance. Loin d'être un détail, c'est un aspect tout à fait capital – sur lequel on n'insiste pas suffisamment – de la guerre idéologique que mène sournoisement le pouvoir contre « l'intelligence, la création artistique et l'imaginaire ». Ce ne sont pas de vains mots, cela sous tend à l'évidence et de façon presque caricaturale le projet « La culture pour chacun » qui vient de sortir et sur lequel nous reviendrons.

 

Loin de nous l'idée que la création théâtrale aurait ou devrait avoir une place privilégiée. Chacun des arts du spectacle vivant est indispensable à la vie sociale, à la vie de la société, chacun participe à l'enrichissement des individus, à leur épanouissement et contribue un peu à leur émancipation. Aucun (et pour cela peut-être ?) n'est épargné par la politique obscurantiste que tente d'imposer le pouvoir actuel.

 

Cependant, parmi eux, le théâtre dramatique a une histoire et un rôle particuliers. Il est à l'origine de la Décentralisation, dramatique justement, celle dont le projet démocratique ambitionnait de rendre l'art et la culture accessibles à tous. C'est ce projet que le pouvoir a dans le collimateur et à qui il voudrait faire rendre gorge. C'est à partir de lui que s'est construit tout notre dispositif culturel, si imparfait soit-il. L'art dramatique est celui des arts du spectacle vivant qui s'adresse le plus directement à la réflexion, celui qui est le plus porteur de sens. C'est une de ses particularités. C'est peut-être cela qui lui vaut ce traitement particulier que le pouvoir lui réserve dans sa volonté de mise au pas. Le gros de la troupe, les compagnies indépendantes, les « petites » structures meurent étouffées par manque d'air. Les théâtres institutionnels symboliques : Chaillot, les Bouffes du Nord, le Carré Sylvia Montfort, (pour ne parler que de Paris) sont peu à peu évacués de la sphère de la création théâtrale, avec quelque discrétion, mais systématiquement. C'est cela qui est en jeu au TEP.

 

La conférence de presse a eu lieu au Théâtre du Rond Point. Elle aurait dû se tenir au TEP mais sa directrice s'y est opposée considérant que ce serait contradictoire avec le dialogue amorcé entre les délégués du personnel et l'Etat quant à l'avenir des salariés. Cela risquait d'autre part d'être déstabilisant pour elle dans les négociations qu'elle a de son côté avec l'Etat.

Juridiquement c'était son droit. Nous ne commenterons pas cette décision quelque peu prudente. Nous la regrettons.

 

Cependant le sort du TEP ni celui des salariés n'est vraiment scellé. Pour la première fois le directeur de la DGCA vient de sortir du silence déclarant que « le personnel engagé en CDI retrouvera sa place. Et nous n'allons pas faire une scène avec deux dans l'objectif de réduire la subvention. Ce qui prime c'est le projet artistique… ». Wait and see !

 

Le rôle des salariés ici et en général…

 

Les salariés ont fait preuve d'une belle conscience tout au long de cette « affaire ». Depuis le début, leur combat a été animé par la légitime inquiétude sur leur avenir immédiat et par celle du devenir du TEP. C'est en effet sur le thème du maintien « d'une grande scène pour les enfants et les jeunes ! Un théâtre de création et de découverte » que portait la pétition qu'ils ont fait circuler. Ils se sont élevés contre le danger de voir disparaître un projet artistique auquel ils ont adhéré et contribué à sa réussite. Il ne leur est pas indifférent que leur théâtre de création de spectacles devienne un lieu d'accueil et de diffusion où certains salariés risqueraient de voir leurs compétences professionnelles inemployées et disparaître les raisons mêmes de leur engagement dans le théâtre.

Pour ce qui nous concerne, le SFA s'est toujours battu pour que les théâtres et les lieux de créations perdurent dans leur mission et soient dirigés par des artistes. C'est cela que nous défendons dans cette affaire. Nous ne négligeons cependant, et en aucun cas, l'importance et la nécessité de l'accueil de spectacles et leur diffusion. C'est une mission tout à fait primordiale pour que vivent et circulent les œuvres. Le projet qui est à l'œuvre au Tarmac a toute notre estime et mérite incontestablement d'être soutenu et développé. Il ne doit pas l'être au détriment du TEP, haut lieu de création de l'art dramatique.

 

Cet épisode vient rappeler opportunément que les salariés sont et peuvent être hautement concernés par la continuité de leur établissement et sa mission de service public. Pour peu qu'on les incite et qu'on les y invite. Ceux du TEP ont conduit un mouvement qui apporte une preuve supplémentaire que, plus que quiconque, ce sont les salariés les meilleurs défenseurs de l'outil de travail qu'est le théâtre. Et si la défense de leurs emplois est partie intégrante de la défense de l'outil, ils ont conscience, et de plus en plus, que le contenu et la nature de leur travail sont liés intimement au projet artistique.

 

…et celui des artistes interprètes

 

Certes, celui-ci n'a pas une incidence directe, ni au même niveau, sur tous les emplois et tous les métiers dans un théâtre, tant s'en faut. Mais cela ne pourrait-il pas être une des premières responsabilités – une des plus élevées – des directions que de motiver, d'intéresser à tout le moins, l'ensemble du personnel à la réussite et au développement du projet artistique du théâtre ? C'est ça que ça (sic) serait une belle action culturelle !

Vaste programme, dira-t-on, mais n'a-t-on pas le devoir de rêver ?

 

Sans doute les artistes interprètes ont-ils un rôle à jouer dans cette improbable « activité connexe » (ainsi nommée dans la convention collective des entreprises artistiques et culturelles). Voici, à propos de leur responsabilité, quelques lignes que Louis Jouvet adresse aux comédiens, bien que ce soit d'une autre pièce qu'il leur parle :

 

« Le théâtre, me disais-je, ne se maintient dans les époques de faillite ou dans les moments de transition que par l'acteur. Les usurpations qu'il commet dans ces époques, la prépondérance qu'il s'attribue, sont utiles pour sauvegarder la profession, son commerce, la persistance de cette tradition.

Mais il ne s'agit pas seulement de sauvegarder notre profession, il faut encore voir clair, du moins essayer de prévoir le futur.

Alors il faut que l'acteur comprenne qu'il a un rôle dans le théâtre qui dépasse tous ceux qu'il a joués ou qu'il jouera jamais, plus beau que tous et dont ceux-ci s'enrichiront : il s'agit des devoirs qu'il a vis-à-vis du théâtre, des auteurs classiques, des auteurs modernes, des poètes, du public. »

 

 

Aristide DEMONICO