Nos peines: Serge Frédéric

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Alors, mon vieux Serge, voilà que toi aussi…! Depuis tant de temps, on avait fini par se croire immortel. Et puis non ! Tu te fais la paire dans un mot d'humour, plus près de la dérision que du tragique, comme toujours chez toi : "on va se boire une coupe de champagne…" et légèrement, comme une bulle, tu nous as laissés pour rejoindre la bonne terre nourricière.

Tous ces jeux de théâtre nous ont fait pourtant nous rencontrer qu'une seule fois. C'était en 1963, Adamov, printemps 71 au TGP de Saint-Denis, vaisseau en ébullition trois mois durant : 45 acteurs aux saluts, 15 représentations, 15 000 spectateurs !!! On en regardait les photos ensemble il y a peu. Toutes ces photos que tu collectionnais, que tu classais dans ce journal que tu écrivais depuis…ces milliers de pages auxquelles tu te consacrais ces dernières années, témoignages d'un passant qui était concerné par le monde comme il va et par ceux qui le peuplent…

Une seule fois ensemble sur le théâtre, mais tant d'autres sur d'autres scènes, dans la rue, les meetings, à la fête de l'Huma où tu "gérais" la scène internationale, au SFA où tu fus longtemps responsable de la commission sociale. Il y en a peu, je veux dire, de moins en moins, qui s'en souviennent. C'était, c'était… Ca a l'air comme ça d'une revue d'ancien combattant, mais non, ce sont les petits cailloux blancs sur notre chemin de petits Poucet qu'il convient de rappeler pour que ça se grave quelque part, parce que ce n'est pas rien !

Et puis tu as arrêté le métier, comme tu disais, pour faire autre chose. Mais était-ce vraiment autre chose ? Tu avais rejoint une équipe de psy et autres qui reçoit jour et nuit des appels d'urgence. Tu écoutais, au téléphone, tous ces gens prêts à basculer qui appelaient à l'aide, qui avaient besoin de parler, d'être écoutés…et tu les écoutais de tout ton corps, comme seul un acteur sait le faire, avec cette sensibilité extrême que ta vie singulière avait façonnée en toi. Je t'ai rencontré quelques fois, soufflant comme le vieil asthmatique que tu étais, montant péniblement le boulevard Mortier vers la rue de la Justice pour rejoindre fidèlement ton poste d'écoute des autres. Avec ta magnifique tignasse inoubliable.

Je trinque avec toi à la fidélité à soi et aux autres.

 

Aristide