Portage salarial: La réglementation se précise…

-A A +A

Article paru dans Plateaux n°208 - 1er trimestre 2012

Nous vous avons alertés dans un précédent numéro de Plateaux des dangers liés aux officines de portage salarial, qui fleurissent dans le secteur du spectacle vivant. Pour mémoire, ces entreprises proposent aux metteurs en scène ou autres porteurs de projet de les décharger de toutes les « contraintes administratives » en gérant les budgets à leur place et en engageant directement les artistes et techniciens, moyennant un pourcentage du chiffre d'affaires ou de la masse salariale du projet.

La situation a évolué depuis car l’UNEDIC et l’état se sont prononcés début septembre sur cette question en soulevant des éléments relatifs à la protection sociale, et notamment à l’accès à l’assurance chômage d’un certain nombre de salariés.

 

La circulaire UNEDIC

Les partenaires sociaux (à l’exception de la CGT) ont signé un accord national Interprofessionnel en janvier 2008, qui, entre autres, autorise et encadre le portage salarial, jusque là interdit car assimilé à du prêt illégal de main d’œuvre.

Face à la multiplication d’entreprises de portage, l’UNEDIC a publié une circulaire (N°2011-33 du 7 novembre 2011) rappelant les conditions d’accès pour les salariés portés à l’assurance chômage. Parmi celles-ci, retenons que :

  •  le salarié porté doit avoir un statut de cadre, démontrant un certain degré d’autonomie dans l’exercice de ses fonctions;
  • il doit avoir une rémunération mensuelle minimale de 2 900 euros bruts (soit l’équivalent du montant du plafond de la sécurité sociale, qui sert de base au calcul des cotisations retraite des cadres);

  • l’entreprise portant le salarié doit être exclusivement dédiée au portage salarial; cette disposition exclut donc, à notre sens, la possibilité pour ce type d’officine d’être productrice de spectacles, et donc de détenir une licence d’entrepreneur du spectacle; en conséquence, les salariés portés ne devraient pas pouvoir bénéficier des allocations chômage au titre des annexes 8 et 10.

Il n’est pas à exclure que l’UNEDIC entame un certain nombre de contrôles et procédures, y compris contentieuses afin de repérer les entreprises qui devraient entrer dans le champ d’application de cette circulaire.

 

Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (septembre 2011)

Nous sommes depuis des semaines dans l’attente d’une circulaire conjointe du ministère du travail, de l’emploi et de la santé et du ministère de la culture et de la communication, censée clarifier cette réglementation dans notre secteur d’activité.

A défaut, nous pouvons nous appuyer sur un rapport rédigé en septembre dernier par le ministère des affaires sociales concernant « l’avenir et les voies de régulation du portage salarial ». Ce document dresse un état des lieux global, trois années après la mise en place d’autorisation du portage salarial.

Ce texte souligne le fait que sa définition encore trop incertaine favorise un développement anarchique. Il signale par ailleurs un certain nombre de secteurs réglementés, dont celui du spectacle, dans lesquels une pratique incontrôlée se développe.

Le ministère de la culture, interrogé dans ce rapport, démontre que le secteur est fragilisé par la pratique du portage. L’obligation de licence et la présomption de salariat, qui constituent la pierre angulaire du système, sont détournées et partant, les obligations des producteurs en matière de droit du travail, d’obligations sociales et de lutte contre la fraude non respectées.

Par ailleurs, selon le ministère, « l’activité de gestion administrative ne lui permet pas d’être assimilée à une entreprise de spectacle vivant ». Ainsi, ces entreprises ne devraient pas pouvoir bénéficier de la licence d’entrepreneur de spectacle.

 

Le retrait de la licence de Smart.fr

C’est sans conteste l’un des arguments qui a prévalu au retrait de la licence d’entrepreneur de Smart.fr par la DRAC île-de-France le 23 novembre dernier.

La DRAC, se fondant sur les arguments présentés dans l’arrêté 2011327-0012 retirant sa licence à cette officine, constate que Smart.fr se place en situation « d’interposition » entre des salariés et une structure qui aurait dû les embaucher, et qui, en passant par Smart.fr, échappe aux contrôles prévus par le régime réglementé des licences.

Cette décision de retrait fera sans nul doute boule de neige devant d’autres commissions de licences dans les mois à venir.

 

En fin de compte…

Un certain nombre de salariés, qui agissent de bonne foi, risquent, dans les mois qui viennent, de se voir refuser l’ouverture de droits aux annexes 8 et 10, après avoir été embauchés par ce type d’entreprises de portage. Celles-ci demeurent en effet bien plus intéressées à toucher un pourcentage des recettes engendrées par l’activité, que d’assurer une protection complète des salariés. Cette dernière ne peut en effet se résumer au seul accès à l'assurance chômage, et ce raccourci est dangereux à bien des égards.

Alors qu’elles assurent être bien « bordées » juridiquement, le système mis en place par ces sociétés de portage n’est pas si infaillible que cela, ni même adapté à la réglementation française.

Nous allons sans aucun doute, dans les mois qui viennent, devoir résoudre les problèmes engendrés par ce qui s’avère finalement être un véritable marché de dupes !

N’oublions pas enfin que le statut de salarié, dont dépendent tous nos droits sociaux, est un cas unique en Europe, où un très grand nombre d’artistes et de techniciens sont des travailleurs indépendants (qui financent eux-mêmes leur protection sociale et leurs droits à la formation…)

La présomption de salariat – et les droits qui y sont attachés – s’useront si on ne s’en sert pas. Ne nous laissons pas transformer en travailleurs indépendants !

 

Angeline BARTH

Secrétaire générale adjointe du SYNPTAC

 

 

Le portage salarial se définit par :

• une relation triangulaire entre une société de portage, une personne(le porté) et une entreprise cliente;

• la prospection des clients et la négociation de la prestation et de son prix par le porté;

• la fourniture des prestations par le porté à l’entreprise cliente;

• la conclusion d’un contrat de prestation de service entre le client et la société de portage;

• la perception du prix de la prestation par la société de portage qui en reverse une partie au porté dans le cadre d’un contrat qualifié de contrat de travail.;

(Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail, art. 19)