Portage salarial : une fausse bonne idée

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Article paru dans Plateaux n°206 - 3ème trimestre 2011


Qui n’a pas déjà été interpellé par un courriel ou une annonce promettant aux artistes et créateurs monts et merveilles : se libérer enfin des contraintes et charges administratives afin de se consacrer pleinement à leur art ?
En contrepartie d’un certain pourcentage de la masse salariale ou des recettes, ces entreprises proposent aux artistes et compagnies de mettre en œuvre par délégation la part administrative de leur projet. Elles vont parfois même jusqu’à offrir la possibilité de salarier directement les artistes, personnels administratifs et techniques. Elles pratiquent alors ce qu’on appelle le « portage salarial ».
Or, la libération du porteur de projet de sa responsabilité d’employeur ne signifie pas pour autant l’affranchissement pour le salarié d’un certain nombre de problèmes, qu’il soit liés à l’exécution de son contrat de travail ou à ses droits sociaux.

De prime abord, nous devrions n’être que satisfaits de la multiplication d’entreprises se targuant du respect de la législation et de la sécurisation de la paie des salariés du spectacle. Il est vrai que depuis 2003, un certain nombre de procédures de contrôle ont été développées par Pôle Emploi. Des couches et sous couches de papiers, déclarations, intitulés de postes et bonnes cases à cocher, qui peuvent augmenter d’autant le nombre d’erreurs lors des déclarations faites par les employeurs… et bloquer des dossiers lors notamment des recalculs de droits à l’assurance chômage.
Aussi, notre combat actuel contre ces entreprises de portage salarial se doit d’être explicité, car c’est bien une lutte pour la préservation des droits des salariés que nous menons.

Le portage salarial et le lien de subordination.

Tout d’abord, l’application de la législation sociale et la sécurisation des parcours des salariés est bien loin de se réduire aux seules déclarations à Pôle Emploi ! La réglementation concerne également tout ce que nous négocions dans les accords collectifs : temps de travail, temps de repos, déplacements, tournées, prévoyance, FNAS…
En cas de portage, les salariés seront embauchés par une entreprise extérieure, qui n’interviendra que sur la partie administrative - bien (trop ?) loin du plateau. Qui sera l’interlocuteur des salariés en cas de problème ou de réclamation sur l’organisation du travail ou sur les rémunérations ? Quelle convention collective sera appliquée aux salariés ? Quel poids ou influence aura le metteur en scène (chorégraphe…) par rapport à la structure porteuse, devenue productrice du projet ? En cas de conflit entre le créateur et l’entreprise porteuse, à qui « appartiendra » le spectacle, le décor, les costumes, les tournées à venir ? Une entreprise « porteuse » peut-elle être considérée comme entrepreneur de spectacle et donc détenir une licence ?

Une partie des problématiques soulevées par ces entreprises tourne autour de la responsabilité, du lien de subordination et du donneur d’ordre.
Ne nous cachons pas la réalité, nous savons pertinemment que cette question est bien souvent éludée dans les équipes artistiques. C’est la raison principale de la difficulté du dialogue social dans ces entreprises. Tant que tout va bien, cela ne gêne personne… Mais cela devient vite douloureux dès qu’apparaissent les problèmes. Lorsqu’un créateur passe par une entreprise de portage, il dilue d’autant sa responsabilité d’employeur et brouille davantage les rapports sociaux.

A force de ne plus pouvoir nommer nos employeurs, nous risquons de ne plus pouvoir être considérés comme des salariés ! Tout pousse d’ailleurs à cela tant au niveau national qu’européen. N’oublions jamais que nos droits sociaux (sécurité sociale, assurance chômage, formation professionnelle continue, prévoyance, mutuelle, activités sociales et culturelles…) sont directement liés à l’existence d’un contrat de travail et de ce fameux lien de subordination.
La présomption de salariat – et les droits qui sont attachés – s’useront si on ne s’en sert pas. Ne nous laissons pas transformer en travailleurs indépendants !


Portage salarial et assurance chômage

Les entreprises garantissent, entre les lignes, des déclarations sécurisées auprès des organismes sociaux – dont Pôle Emploi, bien entendu. Toutefois, il convient d’être vigilant : une déclaration faite en bonne et due forme ne suffira pas peut-être pas à garantir les droits ! Attention aux miroirs aux alouettes…

L’UNEDIC, qui a déjà limité dans le régime général les droits aux allocations chômage pour les salariés « portés », devrait, selon nos informations, prendre des décisions très prochainement quant aux salariés de notre secteur, allocataires des annexes 8 et 10.


Le cas de SMART

Nous avons été alertés -aussi bien au sein de la FIA qu’à EURO MEI ou la FIM- par nos camarades belges, de l’existence d’une structure surfant allégrement avec la législation du pays en permettant aux artistes d’obtenir un « statut d’artiste » à vie, tout en participant à la casse de la présomption de salariat dans ce pays.
Nous avons donc suivi de près son installation et son développement en France et à l’international, et organisé plusieurs rencontres avec ses dirigeants.
Ces réunions, loin de nous rassurer, n’ont fait qu’accroître notre inquiétude quant à ce type de projet.

SMART.FR n’est pas une entreprise de portage comme les autres, elle participe à un vaste projet libéral de casse sociale à l’échelon européen. Quelques extraits glanés sur leur site internet se suffisent à eux-mêmes pour comprendre à quel point il est nécessaire de faire barrage à ce type d’entreprise, tant au plan national qu’à l’international.

« De nouvelles formes d'emploi estompent la frontière entre travail salarié et travail indépendant. Les cadres réglementaires régissant ces formes traditionnelles ne conviennent plus car trop rigides et inappropriés à l'émergence de cette nouvelle économie. Certains règlements surprotecteurs  paralysent les initiatives ; il se crée dans le même temps des statuts au rabais qui renforcent l'insécurité sociale et professionnelle.

Il importe de lever les hypothèques qui grèvent le développement de l'économie créative. Il faut notamment:
• sortir des représentations dogmatiques relatives au travail artistique en valorisant la réalité de son poids économique ;
• adapter les cadres règlementaires pour répondre aux besoins de flexibilité des travailleurs au projet tout en leur garantissant la sécurité sociale nécessaire ;
• inventer des formes d’organisation du travail mutualisées alliant la souplesse indispensable à la réalisation des projets à la réduction des précarités ;
• favoriser la mobilité transnationale des artistes et des œuvres en Europe malgré des cadres réglementaires nationaux disparates en matière de droit social, de  droit du travail, de fiscalité et de droits de propriété intellectuelle. »


Il est grand temps que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités !

Le portage salarial, interdit et considéré comme du prêt illégal de main d’œuvre jusqu’il y a peu, a été encadré par un accord signé en 2008 par les partenaires sociaux. Il est principalement circonscrit aux emplois des cadres.
Les ministères du travail et de la culture devraient (enfin !) publier une circulaire réglementant le portage dans notre secteur d’activités – texte que nous réclamons depuis plus d’un an. Nous veillerons à être associés à son élaboration.

L’apparition de ces entreprises surfe enfin sur les difficultés éprouvées par les jeunes équipes artistiques qui débutent et souhaitent se professionnaliser au plus vite pour débuter, et par une grande partie des compagnies qui peinent à pour se structurer et pouvoir développer à l’interne des emplois administratifs. C’est le grand vide en la matière, que ce soit de la part de l’Etat ou des collectivités territoriales, qui a permis le fleurissement de ces officines qui ne vivent que sur la précarité du champ culturel.

Ici encore, nous éprouvons le besoin de cette loi d’orientation et de programmation pour le spectacle vivant – que nous réclamons depuis des années, et qui pourrait contribuer à trouver des solutions et des financements pour structurer le secteur.


Angeline BARTH
Secrétaire générale adjointe du SYNPTAC-CGT
(SYNdicat national des Professionnels du Théâtre et des Activités Culturelles)


Source : www.smarteu.eu