Article paru dans Plateaux n°200 - 1er trimestre 2010
Les 26 et 27 février s’est tenue dans le cadre du dialogue social européen, une conférence sur le dialogue social dans l’Europe du sud. Celle-ci réunissait à la fois les fédérations internationales de travailleurs : EuroFIA, le groupe européen de la FIM (musiciens), EuroMei (techniciens et personnels administratifs) et PEARLE, la ligue européenne des associations d’employeurs du spectacle vivant. Une douzaine de pays de l’Union européenne participaient à cette conférence auxquels il faut ajouter la Serbie et la Turquie qui avaient été invitées à y participer.
Un rapport avait été rédigé en amont par deux experts, Richard Polacek et Jaap Jong, respectivement choisis par les fédérations de travailleurs et la fédération des employeurs. Ce rapport, qui portait sur la situation du dialogue social et les accords collectifs existants dans les différents pays du sud, a été présenté en introduction à la conférence.
Un rapport très controversé
Les organisations de salariés ont du s’élever fermement contre certains passages. En effet le rapport relève plusieurs inexactitudes et s’oriente par moment dans une voie ultralibérale, ce qui n’a pu être accepté par les syndicats européens présents. C’est ainsi qu’il y est mis en opposition les salariés permanents et ceux qui sont engagés pour des contrats courts, les jeunes et les plus âgés qui prendraient la place. Le rapport traite la question des restrictions budgétaires comme un fait accompli et prône la recherche de nouvelles sources de financements, voire de réductions de coûts (y compris sous forme de gain de productivité grâce à une plus grande flexibilité et précarité au détriment de la protection sociale), sans proposer de pistes de réflexion pour lutter contre le désengagement de l’Etat et des collectivités territoriales en matière de création artistique et de culture. Pourtant, l’expérience montre que ces pseudos gains de productivité se font au détriment de la création artistique et de sa qualité.
Par ailleurs nous ne pouvons accepter qu’il puisse y avoir une demande de flexibilité alors même que le spectacle vivant est sans doute le secteur d’activité où la flexibilité est la plus importante sans d’ailleurs que celle-ci soit toujours justifiée. Ainsi nombre de techniciens et d’artistes sont embauchés dans une succession de contrats plus ou moins courts alors qu’ils devraient bénéficier de contrats à durée indéterminée si les employeurs respectaient la réglementation ou les accords collectifs qui existent dans plusieurs pays. Le rapport lui-même dit que la flexibilité est croissante dans nombre de pays, sans démontrer qu’elle apporte de solution en termes de qualité, d’emploi ou d’offre culturelle.
Du côté des organisations de travailleurs, aucun doute n’était possible quant au rédacteur de ces passages du rapport. Jaap Jong, expert choisi par les employeurs, fut lui-même durant de longues années représentant d’une organisation d’employeurs hollandaise, et intraitable lorsqu’il siégeait au sein du comité de dialogue social européen pour le spectacle vivant.
Plusieurs tables rondes
La conférence s’est ensuite déroulée sous forme de plusieurs tables rondes afin d’échanger les différentes expériences sur les structures de dialogue social dans les différents états membres de l’Union européenne, et tout particulièrement les nouveaux états membres ainsi que les pays candidats, sur l’impact de l’élargissement sur le secteur du spectacle vivant, le rôle des partenaires sociaux dans la politique culturelle et les défis pour le secteur suite à la crise économique, et enfin la sécurité et la santé dans le secteur du spectacle vivant, avec l’accent mis sur l’application de la directive sur le bruit, l’évaluation du risque lors des représentations et sur le lieu des représentations. Notons au passage que pour le premier thème, le ministère français de la Culture avait dépêché Karine Duquesnoy qui travaille à la DGCA (ex DMDTS) et qui suit la négociation collective dans le spectacle vivant.
Deux groupes de travail
Le deuxième jour était organisé en deux groupes de travail. L’un portait sur l’organisation des structures qui représentent les travailleurs/employeurs et les relations entre les organisations syndicales et les organisations d’employeurs. Les travailleurs et les employeurs étant alors réunis de façon séparée.
L’autre groupe de travail, mixte cette fois, a réfléchi sur la structuration d’un dialogue social viable et continu entre les organisations d’employeurs et les organisations de travailleurs.
Ces groupes de travail, grâce à une configuration plus réduite, ont permis un véritable échange entre les syndicats de pays aussi divers que Chypre, la Croatie, l’Espagne, la France, la Grèce, Malte, la Serbie, la Slovénie, la Turquie (où le droit de grève n’existe toujours pas), etc.
Enfin, une déclaration commune
Malgré de fortes différences d’appréciations entre organisations d’employeurs et de travailleurs, la conférence a pu se terminer sur l’adoption d’une déclaration commune. Celle-ci souligne l’intérêt commun que les partenaires sociaux ont à promouvoir le patrimoine culturel dans toute l’Union européenne et à concrétiser les objectifs de la convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Elle met également l’accent sur la nécessité de favoriser l’émergence d’associations d’employeurs et de syndicats puissants, capables de négocier des conventions collectives, qui elles-mêmes doivent pouvoir protéger tous les droits des travailleurs quel que soit leur statut professionnel. Elle affirme également que dans le contexte économique actuel, le financement des arts du spectacle doit être garanti afin de créer un environnement stable et dynamique favorable à la croissance et à l’emploi, et que les plans de relance doivent par conséquent soutenir l’activité du secteur. Enfin elle met l’accent sur les questions de sécurité. Suit une liste de recommandations permettant d’atteindre ces objectifs.
L’échange, le partage peuvent permettre de trouver des solutions, parfois…
Ce type de rencontre européenne est une véritable gageure. En effet les situations sont tellement diverses. Le lecteur aura remarqué que le terme de salarié est ici totalement occulté tant les statuts peuvent être différents d’un pays à un autre, mais également au sein de certains états. On aimerait pourvoir parfois aider plus des syndicats qui sont dans une situation extrêmement difficile, dans des pays où les artistes sont totalement isolés. La situation des artistes et des techniciens dans les différents pays européens est bien souvent le fruit de leur histoire et rien ne peut remplacer l’expérience que se façonnent aujourd’hui des syndicats émergeants. L’échange, le partage, peuvent cependant permettre de trouver des idées, des solutions parfois, tout en sachant qu’on ne construit pas des droits avec des « copiés/collés ». Ce qui est bon et pertinent dans tel pays, peut être totalement inopérant ailleurs. D’un autre côté ces rencontres permettent d’apprécier ce qui nous rassemble et comment, dans des contextes très divers, nos problèmes d’artistes sont aussi et paradoxalement semblables. C’est également à l’occasion de ces réunions internationales que le mot « solidarité » prend tout son sens comme il doit le prendre au sein de la communauté des artistes interprètes qui vivent et travaillent dans notre pays.
Denys FOUQUERAY