PAS DE CRÉATION THÉÂTRALE SANS COMÉDIEN.NE.S !

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20 Février 2017

" Le théâtre est une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain et le vin... Le théâtre est donc, au premier chef, un service public. Tout comme le gaz, l'eau, l'électricité. » Jean Vilar

 

Pas de service public de la création théâtrale sans CDN !

Pas de création théâtrale sans comédien !

 

Rappel des faits

Dans un communiqué daté du 9 janvier 2017, le Syndicat français des artistes interprètes (SFA) et la Fédération du Spectacle CGT se sont expliqués publiquement sur les raisons qui les ont amenés à assigner devant le Tribunal de Grande Instance 15 Centres Dramatiques Nationaux (CDN) et le Syndicat National des Entreprises Artistiques et Culturelles (Syndeac). Rappelant qu'au cours des 5 dernières années (2010-2014) plusieurs centaines de milliers d’heures avaient manqué au volume d'emploi que ces établissements sont tenus de fournir aux comédiennes et comédiens vivant dans notre pays suite à un accord établi en 2003. Cela équivaut à plus de 4500 mois de travail, soit encore à 1 an de travail à plein temps pour 375 comédiennes et comédiens (sommes établies d'après les données des CDN eux-mêmes).

Ce n'est pas un petit litige ainsi que le prétend le SYNDEAC. C'est au contraire un conflit majeur qui porte sur le respect de cet accord négocié sous l'égide du ministère et signé en sa présence par le SYNDEAC ! Il s'agit d'un accord, annexé à la convention collective étendue (c'est à dire applicable à tous les établissements relevant de ladite convention), dont un critère capital n'est pas respecté. Or, le SYNDEAC laisse entendre que cela est de moindre importance au regard "de l'indépendance de gestion et de direction artistique obtenue par délégation du ministère" que notre assignation "mettrait en question". 

Mais la gestion et la direction ne sont-elles pas accordées par le ministère, assorties, justement, de l'obligation de respecter les règles, lois et accords que le directeur, s'engage en toute connaissance, à respecter en signant son contrat avec l'État ? C'est précisément sur ce grave manquement que porte notre plainte. Car cette indépendance, à juste titre jalousement défendue, n'est pas un blanc-seing donné au directeur : le CDN qui lui est confié n'est pas un outil qu'il peut utiliser à sa guise.

Il y a quelque légèreté, dans notre État de droit, à minimiser ainsi les engagements liés aux accords négociés et signés à de tels niveaux.

Les CDN sont des entreprises institutionnelles qui ont des responsabilités et des missions particulières liées à la nature même de leur financement. Nos directeurs ont donc des responsabilités artistiques, territoriales, sociales et professionnelles.

Ces faits ne sont pas contestables. Le Syndeac d'ailleurs ne les conteste pas.

 

La stratégie du Syndeac : affirmer sans prouver

Il a tenu une conférence de presse le 9 janvier avec les CDN assignés. Les propos tenus et le communiqué qui l'a suivie, véritable « ballade des contre-vérités », laissent apparaître une stratégie contestable dans leur communication publique : affirmer sans prouver, déformer le texte de l’accord, affabuler sans vergogne.

En voici quelques illustrations :

« Le volume d'emploi des artistes est une priorité, dont se sont particulièrement ré-emparé les directeurs les plus récemment nommés. »

Affirmation plusieurs fois reprise qu'on est prié de croire ! Dans la réalité les résultats ne sont ni avérés, ni probants. La gratuité de la déclaration n'enlève rien à la crudité des chiffres que nous dénonçons.Notre assignation, elle, porte sur des faits.

Le point de l’accord sur lequel se fonde la plainte des syndicats serait inapplicable depuis le début.

Pourtant 3 ans après sa mise en application, certains CDN parviennent à atteindre le volume d’emploi requis et d’une manière générale le ministère et la commission de suivi constataient une amélioration de plus de 5,5% de l’emploi des artistes interprètes. Aujourd'hui encore des CDN atteignent ce critère et d'autres y tendent et s'en approchent au mieux.

Les syndicats souhaiteraient la création de troupes permanentes qui sont des pratiques d'un autre âge.

Affirmation sans fondement dont il n’existe aucune trace dans l’accord. Cette aspiration a d’ailleurs disparu des revendications du SFA depuis plus de 20 ans.

La loi interdirait aux directeurs de CDN d’engager des artistes interprètes en CDI.

Le SFA et les syndicats d’artistes se sont battus contre cette interdiction illégale qui figurait dans le contrat de décentralisation. Elle n'existe plus, elle a été levée par l’accord de 2003. Les directeurs devraient le savoir s’ils ont pris la peine de lire l’accord qu’ils se sont engagés à respecter et dont il est fait mention dans leur contrat !

Le développement des activités hors plateaux (activités de sensibilisation) » … entraîne « le développement des équipes de production ou de relations publiques. »

Le Syndeac et les directeurs omettent de signaler que les artistes interprètes peuvent consacrer à ces activités, selon la durée de leur engagement, de 10 à 20 % de leur temps de travail et cela peut atteindre 49,99 % pour des contrats de longue durée.

 

Après les « arguments » sur l'accord inapplicable et sa vétusté, viennent les conséquences « catastrophiques » de l'assignation :

"Nous estimons ainsi jusqu’à 1233 mois de salaires qui pourraient ne pas être versés aux artistes interprètes en 2017 [...] ainsi qu’à 350 salariés permanents des Centres dramatiques qui risquent le chômage partiel au cours de l’année". En outre "300 compagnies indépendantes dont les représentations pourraient ne pas être achetées par ces Centres dramatiques, autant de salaires non versés pour les artistes interprètes"

Le remède, en quelque sorte, serait pire que le mal !

Au-delà de ces chiffres discutables, ce sont là de soudaines et bien curieuses inquiétudes ! Alors qu'ils n'ont pas craint de priver de travail des milliers d'artistes interprètes - pas une larme pour 4500 mois de travail et de salaires perdus - ils osent accuser les syndicats de risquer, par leur action, de priver les artistes de 1233 mois de salaires en 2017, sans compter les salaires non versés aux artistes interprètes des spectacles non achetés et les 350 salariés permanents au chômage partiel !!!!

Ce n'est pas l'inversion de la hiérarchie des normes que nous joue ici le Syndeac, mais l'inversion des rôles : car notre action est en réalité la conséquence de leur politique.

Voilà en tout cas des préoccupations sélectives qui visent moins à informer qu'à discréditer notre action et à faire peur.

Car si le Syndeac et les CDN sont restés silencieux depuis l'assignation, ils ne sont pas restés inactifs. Les directeurs se sont employés pendant un an à semer la peur au sein de leurs personnels. Pas de réelle information, pas d'explications, ils ont laissé planer les menaces des "conséquences catastrophiques" : plan social massif, chômage partiel, externalisation (qui est d'ailleurs pratiquée depuis longtemps !!!) et tout ce qui est écrit dans leur communiqué : « les CDN concernés devraient, selon les cas soit couper drastiquement dans leurs programmations, soit fermer pendant une période minimale de 6 mois, soit, dans plusieurs cas, déposer le bilan. »

Utiliser ainsi peur et contre-vérités sont des choix graves venant d'une organisation syndicale démocratique et de la part d'artistes dont la vocation est d'éclairer leurs contemporains afin de les aider un peu, si peu que ce soit, à mieux maitriser leur vie.

 

Halte au chantage !

La tentative de rejeter sur l'autre la responsabilité des conséquences d'un conflit social est une constante que les salariés n'ignorent pas, comme ils n'ignorent pas les risques de rétorsion en tout genre qu'ils encourent en résistant aux volontés patronales injustes (nous sommes bien placés pour connaître l'existence de listes noires suite à des luttes dures).

Nous condamnons fermement le chantage et les menaces d'où qu'ils viennent.

Ici, comme dans d'autres secteurs d'activité, l'organisation patronale et les directeurs de CDN n'imaginent pas d'autre choix que celui de faire payer aux salariés déjà pénalisés, déjà fragilisés, leurs propres choix et leurs manquements qui les conduisent aujourd'hui dans cette situation.

Le chantage à l'emploi n'est pas tolérable et nous n'accepterons aucun licenciement.

Nous refusons d'opposer les personnels entre eux. Nous le savons bien, chaque fois qu’un CDN a su développer l’activité artistique cela a été au bénéfice de tous, et là où la présence d’artistes interprètes était continue cela a permis d’augmenter, non seulement les activités du CDN mais également le nombre d’emplois dans les autres services. Nous ne pensons pas qu'il y a trop de personnels, nous disons simplement qu'il n'y a pas assez d'artistes interprètes.

Les Centres dramatiques ne sont pas des Scènes Nationales. C'est bien la question de fond.

Le Syndeac et les CDN justifient la diminution de l'emploi des artistes interprètes par la nécessité de "privilégier les écritures contemporaines dont les distributions sont moins importantes" (affirmation inexacte). Et quand certains, faisant allusion à de nouvelles technologies, parlent de faire du théâtre autrement, de quoi parlent-ils ? Aux USA des concerts sont organisés avec Elvis Presley « présent » sur scène !!!

Tout au long des siècles, la manière de faire du théâtre n'a cessé d'évoluer. Les progrès techniques, l'électricité, la télévision ont bouleversé la représentation mais jusqu'à présent le comédien est resté au centre.

Notre bataille pour l’emploi des artistes interprètes est tout à fait indissociable de celle que nous menons depuis toujours pour le maintien et la pérennisation des missions de service public d’intérêt général des CDN qui sont des lieux de fabrication de théâtre et pas simplement de spectacles. Cela suppose des établissements dotés des moyens indispensables à l’exécution de leur mission et pourvu de personnels administratif et technique permanents hautement qualifiés en nombre suffisant.

Si les directeurs de CDN considèrent qu’ils n’ont plus les moyens de remplir les missions qui leur sont confiées, à eux de s’adresser au ministère. Rappelons à ce propos qu'au cours de l'histoire, La Fédération CGT du Spectacle et ses syndicats ne leur a jamais fait défaut, jamais. Ils ont toujours été à leurs côtés pour l'obtention de plus de moyens.