Ce jeudi 23 février, à 9h00 lors de la Matinale sur France Musique, la chronique humoristique hebdomadaire d’Hervé Niquet, par ailleurs membre de syndicat d’employeurs PROFEDIM (Syndicat professionnel des Producteurs, Festivals, Ensembles, Diffuseurs Indépendants de Musique) en tant que directeur artistique du Concert Spirituel, ne nous a pas fait rire. Nous étions en effet bien au-delà de l’humour, dans un déballage de ragots diffamatoires visant certains choristes d’opéra. Bien entendu pas un nom n’est cité, ni de chanteur, ni de maison d’opéra ni de production en particulier, de sorte qu’aucun débat contradictoire n’est possible sur ce qui est présenté comme des faits.
Pour Hervé Niquet, la ligne qui départagerait les bons artistes des chœurs des mauvais tiendrait aux contrats qui les lient à leurs employeurs. D’un côté les « choristes intermittents », salariés précaires et donc par nature beaucoup plus compétents, réactifs, souples, adaptables à tous types d’exigences professionnelles, par opposition à la catégorie des choristes permanents des maisons d’Opéra, qui seraient encroûtés, selon lui, dans leurs défenses syndicales et leur manque d’adaptabilité, voire leur incompétence !
Le chef s’est livré dans sa chronique à une apologie appuyée du modèle « choriste intermittent », à gros traits, sur la base de témoignages jugés irréfutables : ceux de ses « amis choristes intermittents » ou d’« une amie soprane intermittente ». Quel sérieux !
Au passage, Monsieur Niquet nous apprend que l’intermittence servirait à apprendre la partition avant le début des répétitions… Si cet usage se rencontre hélas de plus en plusfréquemment, tant dans les maisons d’Opéra qu’au sein des ensembles vocaux, dont certains fournissent des enregistrements à leurs choristes pour gagner du temps avant les répétitions, nous en profitons pour rappeler qu’il est abusif, le Code du travail prévoyant que tout travail soit rémunéré par l’employeur qui le commande. Or, force est de constater que les artistes lyriques des chœurs intermittents sont souvent engagés aux tarifs minimaux de la convention collective, sur des durées de contrat de plus en plus courtes, et que le travail préparatoiresupplémentaire non rémunéré en amont est assimilable à du travail dissimulé.
Si Monsieur Niquet semble se soucier de l’utilisation du financement public des maisons d’Opéra, nous nous alarmons de notre côté qu’une radio publique relaie une telle caricature, sans aucun commentaire ni prise de distance. Opposer ainsi deux types de situations contractuelles d’une même profession, égratigner au passage le droit syndical pour lui préférer le mutisme forcé d’artistes corvéables à merci au-delà de leurs périodes d’emploi, relève évidemment d’une idéologie ultra libérale que nous dénonçons. C’est aussi totalement mépriser l’impact de cette très grande précarité sur la vie des artistes.
Rappelons que les chanteurs lyriques du chœur peuvent être, alternativement au cours de leur carrière, intermittents ou permanents, sans que leur niveau musical ou vocal en soit affecté. Rappelons que les permanents recrutés ne sont le plus souvent titularisés qu’au bout de six ans de présence à leur poste. Rappelons que les chefs de chœur et les directions des maisons d’Opéra ont les moyens — comme dans toute entreprise — de sanctionner un salarié qui ferait mal son travail. En plus de jeter l’opprobre sur les chœurs permanents, dont les effectifs totalisent actuellement moins de six cents personnes en France, nous trouvons irresponsable que Monsieur Niquet fasse du modèle de précarité de l’intermittence (et des abus qui lui sont liés, dans un système où le travail exigé n’est plus rémunéré intégralement par l’employeur, mais par Pôle Emploi) la référence en matière de qualité.
Nous demandons que notre réaction soit diffusée à l’antenne.