C’est avec consternation que la Fédération du spectacle CGT et le SFA ont appris la nomination, malgré l’opposition d’une grande partie des professionnel.le.s du cinéma, de Monsieur Dominique Boutonnat pour présider le Centre national de la cinématographie et de l’image animé. Ce producteur, gestionnaire de fonds d’investissement et soutien financier de la campagne d’Emmanuel Macron est l’auteur d’un rapport rendu public en mai sur le financement privé du cinéma et de l’audiovisuel qui applaudit le cinéma français pour sa qualité, et en même temps le critique pour sa rentabilité insuffisante. Il dénonce un système « nataliste » qui encouragerait la production de trop de films avec un taux de réussite en termes d’entrées ou en termes de profitabilité trop faible.
Boutonnat préconise d’accélérer la concentration de la filière, en encourageant la création de grands groupes opérant sur tous les échelons de la production, distribution, voire exploitation, en partant d’un meilleur financement privé des sociétés de production, possible par une meilleure opportunité de générer des dividendes pour les actionnaires. Ceci serait rendu possible par une maitrise des couts, bien sûr, mais aussi par la constitution de catalogues (« line-ups » dans le vocabulaire anglicisant et financier favorisé constamment par l’auteur) gérés par le producteur comme il l’entend, avec une chronologie d’exploitation à peine régulée, et où la sortie en salle pourrait être éliminée. Le modèle qui a réussi à faire du cinéma français le premier en Europe, basé sur la valorisation de l’œuvre, est considéré comme dépassé, devant être remplacé par un soutien à un producteur de catalogue, censé être plus attractif aux investisseurs car moins risqué.
Malgré quelques courtes phrases révérencieuses envers la diversité culturelle, les préconisations du rapport Boutonnat cherche à exploser le fonctionnement actuel des aides automatiques et des aides sélectives, pour favoriser le retour sur investissement rapide des financeurs privés et en même temps effacer la distinction entre la production « artisanale » d’un film de cinéma et la production « industrielle » de programmes de télévision. Le CNC est donc appelé à évoluer dans ce sens.
Ce n’est donc pas une coïncidence que cet été dans le cadre du « festival » Printemps de l’Évaluation à l’Assemblée nationale, la députée LREM Marie-Ange Magne ait communiqué un rapport axé notamment sur une réforme souhaitée du CNC. Mesdames Magne (rapporteure, Commission des finances) et Céline Calvez (rapporteure pour avis, Commission des affaires culturelles), après avoir constaté la gestion rigoureuse et efficace du CNC, proposent d’aider moins de films, car trop ne rencontrent pas un succès public suffisant, et de concentrer les aides sur des films « mieux vus et mieux vendus à l'international pour consolider notre soft power ». Ceci permettrait aussi de plafonner les ressources du CNC issues des taxes affectées sur la billetterie en salles, et l’exploitation à la télévision et sur Internet. Les sommes dépassants ce seuil seraient versées au budget général de l’État. Comme Boutonnat, les parlementaires aussi souhaitent « rééquilibrer » les soutiens accordés à la faveur de la production audiovisuelle.
Dans les deux textes, on voit bien l’accentuation de la dérive de ces dernières années dans le discours du pouvoir politique, pour favoriser la création de « pôles d’excellence », l’excellence étant définie comme ce qui rapporte de l’argent, notamment quand cet argent est ramené de l’étranger. Le cinéma français, art majeur basé sur une production régulière de prototypes, a une singularité reconnue, y compris à l’étranger : il est divers, capable du plus populaire et accessible et aussi du plus exigeant, stimulant ou risqué ; cette richesse permet de mutualiser, non pas au sein d’une seule structure capitaliste, les revenus issus de l’exploitation des films, mais au sein d’un écosystème large.
C’est cet écosystème que la Macronie voudrait apparemment sacrifier sur l’autel du profit et de la privatisation, comme dans tant d’autres domaines.
Non seulement ces pistes sont dangereuses, mais elles n’apportent aucune solution au problème majeur que rencontre le cinéma et l’audiovisuel, et au-delà tous les secteurs culturels : la nécessaire participation des GAFA aux politiques de soutien.
La Fédération du spectacle et ses syndicats investis dans la production (et l’exploitation) cinématographique (SFA, SPIAC, SNAC, SFR, SNEC), représentant des milliers de créateurs, techniciens, interprètes et autres travailleurs du secteur, tirent la sonnette d’alarme : le CNC est menacé et le cinéma français aussi. Dans une période compliquée pour la production et la diffusion d’œuvres culturelles, reconnue par les rapports précités eux-mêmes, le choix de la personne qui présidera le Centre montre l’orientation du gouvernement pour l’avenir de ce grand art. Le clientélisme du pouvoir en place ne surprend plus, son idéologie farouchement libérale non plus.
Nous appelons les professionnel.le.s à rester vigilant.e.s pour empêcher le casse d’un système qui fonctionne, qui fournit du travail à des dizaines de milliers de femmes et d’hommes de talent et de dévouement et qui fait rayonner le meilleur de la France à travers le monde.