Pourquoi nos employeurs et leurs organisations ont-ils tant de mal à s'exprimer en reconnaissant qu'un coupable d'agissements sexistes est un coupable et qu'une victime est une victime ?
En janvier 2014, le Directeur du Ballet de Lyon, Yorgos Loukos, a demandé et obtenu de la Direction de l'Opéra National de Lyon le renvoi d'une danseuse qui revenait tout juste d'un congé maternité. Quelques mois après, celle-ci portait plainte. En novembre 2017, Yorgos Loukos était condamné une première fois en correctionnel pour discrimination. En décembre 2019, la Cour d'Appel de Lyon a confirmé cette condamnation.
Plusieurs artistes, dont certains sont des cadres d'institutions chorégraphiques et plusieurs directeurs de structures culturelles soutenues par l'État ou des collectivités territoriales viennent de signer dans Libération une tribune critiquant la décision des juges et le licenciement de M. Loukos qui est intervenu depuis.
Certains des signataires ont depuis déclaré qu'ils n'avaient pas réellement validé le texte publié. Dont acte.
L'Opéra de Lyon, de son côté, a fait savoir à la presse que certaines affirmations du texte étaient erronées.
De notre côté, nous estimons que les signataires qui se permettent de stigmatiser « une décision contestable de juges mal informés » sur la base du « manque de vérité ou de transparence d'enquêtes internes ou policières » ne connaissent pas les garanties offertes par les procédures pénales de ce type en France et, surtout, n'ont probablement pas lu la décision.
On y lit en effet que M. Loukos n'avait jamais fait de remarques sur les capacités de la victime de la discrimination avant son retour de congé maternité, que tous les collègues du ballet qui ont témoigné qu'elle était en pleine possession de ses moyens au moment où elle a cessé le travail et qu'enfin M. Loukos avait reconnu lui-même, à la fois lors d'un entretien qui avait été enregistré, et à la fois lors de son audition par la police que la maternité pouvait poser problème pour une compagnie de danse. Les juges ont aussi relevé que le Directeur du Ballet avait été dans l'incapacité de prouver que des « exigences professionnelles fondamentales » faisaient défaut à la danseuse renvoyée.
M. Loukos a été maintenu en poste durant tout le temps de la procédure, ce en quoi il a bénéficié à plein de la présomption d'innocence. Mais ce n'est pas assez pour les signataires de la tribune qui revendiquent l'impunité. Il est insupportable de constater une fois de plus que, dans le secteur culturel, des voix s'élèvent pour trouver des excuses ou contester des faits avérés d'atteinte aux droits des femmes.
Le secteur doit au contraire refuser l’impunité, exiger des procédures partout où des personnes sont mises en cause et se plier aux condamnations rendues devant une Justice devant laquelle personne n'est privé de voies de recours.
Les dérives sont anciennes et croire qu'elles pourraient être éradiquées sans le volontarisme de l'ensemble des parties prenantes serait une erreur.
Un des effets les plus désastreux de cette tribune est qu'elle laisse penser que les personnes qui sont à la tête des institutions culturelles ne partagent pas cet impératif. Nous avions déjà fustigé le silence du monde de l'opéra français suite aux deux condamnations successives de M. Loukos. Une déclaration des organisations professionnelles des entreprises du secteur dont certains cadres ou dirigeants ont signé la tribune dans Libération eut été salutaire pour montrer publiquement qu'elles se désolidarisaient des propos de leurs membres. Elle tarde malheureusement à venir.
Comment ne pas relier cette prudence de nos employeurs au silence et à l'inaction qui suivent parfois les signalements que nos délégués font à leur direction. À cet égard le message qu'envoie cette affaire aux victimes qui hésitent à dénoncer ce qu'elles subissent est clair et désastreux : 5 ans de procédure pénale, mépris du signalement fait par les délégués dans l'entreprise, aucune indemnisation spontanée de la victime de la part de l'Opéra National de Lyon qui s'est pourtant rendu complice en entérinant la décision de M. Loukos et maintenant polémique dans la presse sur la décision rendue par la justice sans aucune marque de soutien publique de la part des institutions culturelles.
Ce silence est coupable.