Accords de libre-échange et protocoles culturels : l’indispensable séparation

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Article paru dans Plateaux n°201 - 2ème trimestre 2010

Depuis le début de 2009, la Commission européenne a multiplié les accords de libre-échange intégrant des PCC (Protocoles de coopération culturelle) comme elle l’a fait avec la Corée du sud. Dès le printemps 2009, la Coalition française pour la diversité culturelle (dans laquelle le SFA est très présent depuis l’origine) et les coalitions européennes ont alerté sur les dangers de cette stratégie.

En effet, il est inacceptable que la culture soit l’objet d’un marchandage au sein d’accords commerciaux : c’est bien « l’exception culturelle » pour laquelle nous nous battons, en particulier depuis la fin de l’Uruguay round (1993), qui pourrait être remise en cause. Les biens et services culturels, parce que porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne peuvent pas être soumis aux règles de libre échange et de libéralisation, sous peine de voir les politiques culturelles contestées au nom de la « liberté du commerce ». On a pu mesurer ces derniers mois la duplicité de la Commission européenne : d’un côté, elle soutient la Convention Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005 et de l’autre, elle préconise des mesures d’accès au marché dans des accords bilatéraux, ce qui pourrait fragiliser la position de l’Union européenne à l’OMC. Ainsi, alors que l’Union européenne maintient son refus d’engagement de libéralisation sur les services audiovisuels dans cette enceinte, on pourrait voir des Etats lui réclamer des engagements de libéralisation dans ce cadre multilatéral comme elle le fait déjà dans le cadre bilatéral des accords de libre- échange !

La coalition française a été invitée à participer à un groupe de travail lancé par le ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE)  composé de professionnels et de représentants des différentes administrations françaises. Un document de stratégie en est issu sur le traitement du secteur culturel dans les accords économiques et/ou commerciaux UE/pays tiers, intitulé «Communication de la France : pour une nouvelle stratégie culturelle extérieure de l’Union européenne ». Ce document, qui reprend les principes de « l’exception culturelle » a été transmis aux services de la Commission européenne, du Parlement européen, aux présidences actuelle et montante de l’Union européenne ainsi qu’à nos partenaires européens.

Plus récemment, les 3 et 4 mai 2010, les coalitions européennes ont été reçues au cabinet de la nouvelle commissaire européenne, Madame Vassiliu et à la DG Commerce. Il nous a été annoncé que la Commission européenne est en train d’élaborer un document pour une nouvelle stratégie sur les PCC. La société civile et les Etats membres seront consultés. Nos interlocuteurs nous ont affirmé qu’il n’y aura plus, à l’avenir, d’inclusion systématique d’un protocole culturel dans une négociation commerciale. Les protocoles culturels ne seront proposés qu’aux pays en développement qui en font la demande et ne seront abordés que par des négociateurs culturels pour éviter qu’ils ne servent de monnaie d’échange dans la négociation globale. D’ores et déjà, cette nouvelle stratégie est mise en œuvre avec la Communauté andine et l’Amérique centrale. Pour le Canada, l’Europe n’a pas l’intention de proposer un PCC en dépit de la demande québécoise.

On le voit, notre action commence à porter ses fruits, nous avons fait reculer la Commission européenne. Il nous faudra cependant rester vigilants sur les contenus négociés. Ce dernier épisode nous rappelle encore une fois les fragilités de « l’exception culturelle » depuis plus de 15 ans alors même que nous disposons maintenant de la Convention Unesco de 2005 qui peine à accéder au statut d’un véritable droit international contraignant Plus que jamais, la diversité culturelle reste un combat.

C. MICHEL

Secrétaire général adjoint de la Fédération du spectacle