QUE PROPOSENT LES CANDIDAT.E.S A LA PRÉSIDENTIELLE POUR LA CULTURE ET LES ARTISTES ?

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7 Avril 2017

Nous vous proposons ici un décryptage des propositions des candidat.e.s à l’élection présidentielle, sous l’angle de la culture et des artistes. Avant de vous plonger dans la lecture de cet article, quelques précisions s’imposent. Nous nous attachons dans les programmes des candidats aux mesures envisagées en matière culturelle concernant les artistes que nous sommes. Vous constaterez que 4 candidat.e.s ne sont jamais cité.e.s : Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière), Jean Lassalle, Jacques Cheminade (Solidarité et Progrès) et François Asselineau (Union Populaire Républicaine). N’y voyez aucune volonté de notre part de les écarter. La source utilisée pour les candidats est le programme publié par chacun d'entre eux (à la date du bouclage de Plateaux, et donc sans d’éventuelles « retouches » qu’ils auraient pu apporter en réponse ou suite aux interpellations des uns ou des autres…) et dans leurs cas nous n’avons trouvé aucune ligne au sujet de la culture et des arts. Pour cette raison nous ne pouvons pas nous prononcer sur leurs propositions spécifiques concernant directement les artistes interprètes.

 

Sur la place des artistes dans la société

Alors que la présomption de salariat dont bénéficient les artistes du spectacle depuis 1969 a subi de graves attaques sous le quinquennat qui s’achève, avec l’article 32 de la loi Liberté de création, architecture et patrimoine (LCAP), dont nous avons longuement parlé dans nos colonnes, la question de la place des artistes dans les programmes des candidat.e.s nous intéresse particulièrement. Las, et sans surprise pourrions-nous dire, il n’y a que très (trop) peu d’éléments à ce sujet.

Benoît Hamon (Parti Socialiste) parle de la création d’un « statut de l’artiste, afin de donner toute la reconnaissance qu’ils méritent à celles et ceux qui se consacrent à la création ». La formule peut sembler séduisante. Mais que recouvre-t-elle ? Mystère, nous n’en saurons pas plus à la lecture de son programme et cela mériterait développement pour nous faire un avis. Le candidat socialiste propose aussi de créer un « visa artiste », pour « mieux accueillir les talents étrangers ». Cela existe déjà, depuis novembre 2016, sous l’appellation « passeport talents », grâce notamment à la mobilisation du Comité Visa Artistes de l’association Zone Franche, dont fait partie le SFA.

Jean-Luc Mélenchon (France Insoumise), lui, promet de « garantir la liberté de création et de diffusion des œuvres d’art contre toute tentative de censure », Philippe Poutou (Nouveau Parti Anticapitaliste) va dans le même sens, en revendiquant « la liberté complète de diffusion ». Les articles 1 et 2 de la loi LCAP, promulguée en juillet 2016, devraient déjà garantir cela, pénalisant même l’entrave à la liberté de création et de diffusion.

Du côté des candidats de la droite, cette thématique est complètement passée sous silence.

Les propositions des candidat.e.s sont assez faibles sur ce sujet, et constituent souvent un réchauffé de mesures déjà existantes.

 

Sur l’emploi

Alors que le SFA mène, à travers l’assignation du Syndeac et de 15 Centres Dramatiques Nationaux, une bataille pour l’emploi des artistes interprètes, nous avons été, dans l’analyse des programmes, particulièrement vigilants sur ce point.
Il est à noter également qu’aucun cas des candidats ne propose de revenir sur l’article 32 de la loi LCAP qui, sous prétexte de favoriser la pratique artistique en amateur, légalise l’engagement d’artistes non rémunérés dans des spectacles se déroulant dans un cadre lucratif. Aucun d’entre eux ne semble choqué par des situations, qui se multiplient déjà, dans lesquelles le même plateau réuni des artistes rémunérés et d’autres qui ne le sont pas.

Jean-Luc Mélenchon propose des mesures assez précises à ce sujet, notamment concernant « la pérennité des ensembles et orchestres permanents et l’emploi statutaire, conditions de la mise en œuvre des missions et des cahiers des charges ». Nous précisons que la question des missions et cahiers des charges ne concernent pas que les orchestres, mais aussi les CDN par exemple, comme le rappelle l’action juridique que nous avons lancée. Le candidat de la France Insoumise veut aussi ouvrir « des lieux de travail pour tou.te.s les artistes » et financer « la structuration des petites compagnies de spectacle vivant ». Si nous pouvons apprécier l’engagement du candidat sur ces sujets, encore une fois, cela mériterait des précisions sur la mise en œuvre de ces engagements.

Du côté du candidat d’En Marche !, nous sommes dans le flou le plus total à ce sujet. Emmanuel Macron souhaite ainsi « favoriser la diffusion du spectacle vivant en multipliant les spectacles coproduits ». L’enjeu de la diffusion, et donc de l’emploi des artistes travaillant sur ces spectacles, est certain. Mais comment concrètement veut-t-il multiplier les coproductions ? François Fillon (Les Républicains) souhaite pour sa part « appliquer le principe d’un nombre minimum de représentations à tous les spectacles subventionnés ». Nous ne demandons pas mieux que de jouer plus, pour beaucoup d’entre nous. Mais alors que la tendance est à la baisse des subventions, comment appliquer ce principe ?

Pour revenir à Emmanuel Macron, celui-ci souhaite aussi « créer les conditions de l’émergence d’un Netflix européen ». Si les nouveaux moyens de diffusion peuvent être sources d’emplois pour les artistes (dans des conditions cependant très discutables à l’heure actuelle), encore une fois, comment compte-t-il créer un « Netflix européen » ? Par quels mécanismes ? Il semble que nous sommes dans l’effet d’annonce. L’effet d’annonce est aussi au rendez-vous chez le candidat Les Républicains, qui promeut « l’ouverture de 1000 pépinières d’artistes sur le territoire avec les collectivités locales ». Qu’entend-il par « pépinières » ? Nous ne le saurons pas.

Enfin, Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) aborde la question de l’emploi des artistes interprètes, mais uniquement sous l’angle de l’éducation artistique et culturelle. Il souhaite en effet doubler le plafond d’heures prises en compte dans l’assurance chômage (à noter que le candidat parle de 55 heures prises en compte actuellement, alors qu’il s’agit de 70 heures depuis l’accord du 28 avril 2016 entré en vigueur le 1er août dernier). Si les artistes ont bien évidemment un rôle à jouer dans l’enseignement artistique, nous rappelons la définition de l’artiste interprète : « la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes » (article L.212-1 du Code de la Propriété Intellectuelle). La réflexion sur l’emploi des artistes interprètes ne doit pas donc être restreinte au seul champ de l’éducation artistique et culturelle, comme le fait le candidat de Debout la France.

 

Sur l’assurance chômage

Aucun des candidats ne prône la fin des annexes 8 et 10. Pourtant, certains éléments programmatiques présentés nous laissent perplexes, quand ils ne suscitent pas des inquiétudes. Emmanuel Macron parle ainsi d’ « adapter le statut (sic) d’intermittent », sans dévoiler de quelle adaptation il est question. François Fillon lui veut « lutter contre les abus », en excluant les programmes de flux du régime (c’est-à-dire tout ce qui n’est pas de l’ordre du documentaire ou de la fiction TV). Or, des artistes interprètes travaillent également dans des programmes de flux. Sortir brutalement les programmes de flux des annexes les pénaliserait donc. Emmanuel Macron, François Fillon et Nicolas Dupont-Aignan ont aussi en commun de considérer les annexes 8 et 10 comme étant une « garantie de la liberté de création » (pour F. Fillon), « un outil au service de la politique culturelle » (pour E. Macron) ou « adapté aux enjeux créatifs des métiers artistiques » (pour N. Dupont Aignan). Or le régime d’indemnisation chômage des intermittent.e.s du spectacle n’est rien de tout cela. Les annexes VIII et X ne sont pas une subvention mais une protection sociale ;  elles constituent l’assurance chômage pour les salarié.e.s du spectacle, partie intégrante du régime général de l’assurance chômage.

À gauche de l’échiquier politique, il est question pour Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon de pérenniser le régime de l’intermittence, sans conditionner cette pérennisation à des mesures de régulation. Melenchon veut même étendre ce régime aux « professions artistiques précaires, dont les artistes visuels », ce qui mécaniquement, puisque ces derniers ne sont pas des salariés, détacherait notre régime du système interprofessionnel, comme le veut beaucoup de nos adversaires habituels ! Philippe Poutou souhaite lui refondre le système actuel, pour que l’assurance chômage soit intégrée à la Sécurité Sociale. Il affirme son attachement à la cotisation sociale, qui permet une « garantie de rémunération pour les salariés avec une activité discontinue ». Ce sont en effet les cotisations sociales, donc l’emploi, qui viennent financer la caisse d'assurance chômage.

 

Sur le rôle de l’État

Après 5 années de désengagement de l’État dans la culture, quelle(s)s vision(s) ont les candidat.e.s du rôle des pouvoirs publics dans ce domaine ?

Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon proposent de porter le budget de la culture à 1% du PIB. Indexer le budget consacré à la culture sur le PIB (l'indicateur économique utilisé pour mesurer l'ensemble de la richesse produite par le pays) et non sur le budget de l'État est une revendication ancienne de notre fédération. Nicolas Dupont-Aignan propose, lui, de consacrer 1% du budget de l'Etat et de créer « un grand ministère de la Culture englobant le patrimoine, le tourisme, le spectacle vivant, les arts, les lettres, le cinéma et la communication ». À l’exception du tourisme, placé actuellement sous la tutelle du ministère des affaires étrangères, c’est déjà le cas. Rien de nouveau donc.

Si Philippe Poutou ne chiffre pas quelle sera la part de budget consacré à la culture, il parle néanmoins d’un « véritable service public en charge de ces biens communs », dont la culture fait partie.

François Fillon annonce quant à lui la couleur : pas de hausse du budget de l’État et des collectivités territoriales pour la culture. À la place, il parle de « financement participatif », « mécénat », « partenariats publics privés », etc. C’est donc un désengagement plus grand des pouvoirs publics qui sera à l’œuvre, s’il est élu, avec encore plus de privatisation et de marchandisation de la culture et des arts et probablement de recours à une main d’œuvre artistique gratuite.

 

Sur la question des droits d’auteur et des droits voisins

Quasiment tous les candidats ont leur avis sur la question. Nous avons d’un côté les adversaires de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la Hadopi. Philippe Poutou souhaite son « abrogation » immédiate, à l’instar de Nicolas Dupont-Aignan, Mélenchon parle de mettre « fin à la coûteuse et inefficace politique de lutte contre le « piratage » », en la supprimant. Hamon et Macron n’en parlent pas, quand François Fillon souhaite au contraire « conforter l’Hadopi dans son rôle pédagogique, voire la renforcer pour la rendre plus efficace ». De l’autre côté, alors que Hamon et Macron restent silencieux sur le sujet, François Fillon souhaite « conforter l’Hadopi dans son rôle pédagogique, voire la renforcer pour la rendre plus efficace ».

Mais l’Hadopi n’est pas tout. Quid de la nature des droits voisins dont bénéficient les artistes-interprètes, et surtout de la rémunération de ces derniers pour l’exploitation de leurs prestations enrégistrées ? Là, comme pour beaucoup des points précédents, on reste plutôt dans le flou.

Jean-Luc Mélenchon préconise un « système de rémunération global de la création par l’instauration d’une cotisation liée à l’abonnement internet » et « mise en en place d’un système de répartition pour rémunérer les auteurs et créateurs ». Apparemment ceci pourrait signifier un retour à la licence globale que le SFA a combattu lors du débat autour de la loi « DADVSI » en 2005-2006, que nous avons considéré comme une menace pour notre droit exclusif d’autoriser l’utilisation de nos prestations et pour notre statut de salarié.

Par ailleurs, il veut «  Intégrer les droits d'auteur dans le domaine public, après le décès des auteur·e·s pour financer la création et les retraites des créateurs. » Il n’est pas dit spécifiquement que cette mesure concernerait aussi les droits voisins, dont bénéficient les artistes-interprètes, mais cette conclusion serait logique. Nos droits ne seraient donc plus des droits patrimoniaux, transmissible aux héritiers ; il n’y a pas de plafond mentionné, donc même les familles des artistes peu connus pourraient être privées des fruits du travail de celui-ci, et la protection de la prestation et/ou de l’oeuvre fournie par le droit moral disparaîtrait aussi. On pourrait même voir des situations où le producteur persisterait à bénéficier de droits, tandis que la famille de l’artiste en serait privés.  

Philippe Poutou propose une « refonte des droits d’auteur pour garantir des conditions de vie décentes à tous les artistes », mais ne semble pas expliquer ce qu’il entend par cela. Il était autrement plus prolixe sur la question des droits des artistes en 2012.

Benoît Hamon n’est pas plus clair, ni plus loquace. Il déclare, « Je développerai l’offre légale de contenus culturels numériques pour toucher le plus grand nombre sans fragiliser les artiste. dans la lignée de la « taxe Youtube », je développerai tous les moyens techniques et juridiques adéquats pour une juste rémunération des artistes, » ce qui est une belle intention et une promesse vide de spécificité. Déjà, la « taxe YouTube », si jamais elle est mise en application, ne sera pas une source de rémunération, mais de ressources pour la production, ce qui, il est vrai, pourrait éventuellement générer un peu d’emploi.

Emmanuel Macron  compte « défendre résolument les droits d’auteur, aider les artistes et les éditeurs de contenu européens par la négociation encadrée d’accords sur leur rémunération. » On peut supposer, vu la présence de Marc Schwartz dans l’équipe de campagne, que le candidat envisage des accords entre les acteurs des diverses filières comme ceux  que Schwartz a déjà piloté dans le secteur de la musique et du livre. Le SFA a signé le « Protocole pour la rémunération équitable de la musique en ligne », et négocie actuellement avec les producteurs de phonogrammes une rémunération minimale garantie pour le streaming.      

Dupont Aignan : « assurer une juste rémunération des auteurs grâce au mécanisme de la licence globale, prélevée sous la forme d’une contribution forfaitaire mensuelle sur chaque abonnement internet. » Serait-il sur la même ligne que Melanchon ? Ou vice versa ? Au moins, ceci est clair, et les orientations du SFA ne vont pas dans ce sens. Nous préférons des rémunérations proportionnelles aux exploitations de nos prestations enregistrées, négociées avec nos employeurs, ainsi qu’une redevance perçue directement auprès des plateformes de mise à disposition, rémunérant l’autorisation qu’on les accorde.

 

Le cas Marine Le Pen

Parmi les 144 mesures de la candidate de l’extrême-droite, seules 2 nous concernent directement. A propos des annexes 8 et 10, Marine Le Pen (Front National) adopte un langage martial et déclare vouloir « remettre en ordre le statut d’intermittent », en créant une carte professionnelle. Un rapide rappel à l’Histoire s’impose. La carte professionnelle pour les artistes interprètes ne fut mise en place en France qu’une seule fois, par le gouvernement de Vichy, à des fins bien évidemment d’exclusion des artistes juifs et des réfractaires au régime politique en place. Et si on pousse le raisonnement jusqu’au bout : selon quels critères cette carte serait attribuée ? Quid des artistes étrangers qui viennent travailler en France ? La carte professionnelle telle que voulue par Marine Le Pen est donc une ligne de séparation entre ceux qui auraient le droit de travailler et d’être rémunérés, et les autres. Or, ce n’est pas en excluant qu’on construit des droits sociaux.

La seconde mesure concerne la suppression d’Hadopi et la licence globale, dont nous avons parlé ci-dessus.

 

Les enjeux qui concernent nos professions sont souvent noyés dans des propositions fourre-tout et plutôt vagues, parfois dans des effets d’annonce et le plus souvent ils restent en surface. La question du rôle de l’État dans la culture est cruciale, la parole des artistes interprètes et celle de notre syndicat, le SFA, doit être entendue sur le sujet. Après les élections présidentielles et législatives, il nous faudra continuer à défendre nos points de vue, nos revendications et mener la bataille idéologique pour le service public, l'emploi, la protection sociale, la place des artistes interprètes dans la société.