Hier 11 mai, nous étions enfin convié(es) à un CNPS (Conseil national des professions du spectacle) plénier en présence des ministres Roselyne Bachelot (Culture) et Elisabeth Borne (Travail). Un rendez-vous important : dans le contexte des occupations et de la possible réouverture, nous espérions des annonces fortes en faveur des artistes interprètes.
Même si le résultat est largement insuffisant, rien de ce qui nous a été concédé hier ne l’aurait été sans la mobilisation intense que nous menons depuis plus de deux mois.
Tout d’abord nous nous réjouissons d’apprendre que les conditions d’accès aux indemnités journalières de la sécurité sociale vont être revues, notamment par un maintien des droits sans conditions pendant 12 mois pour tous et toutes. Après presque un an d’alertes sur le fait qu’un grand nombre de personnes en congés maladie ou maternité se sont retrouvées sans aucune indemnisation, nous avons enfin obtenu cette mesure très importante… et qui de plus sera pérenne. Mais hélas, avec un cynisme éhonté, on nous a expliqué que la rétroactivité de cette mesure s’appliquerait aux seul.e.s intermittent.e.s du spectacle. Jusqu’à présent la Sécu n’a jamais distingué les intermittent.e.s du spectacle des autres précaires. Cette manie de faire de nous des exceptions devient de plus en plus inquiétante. (Notons que la baisse du seuil d’ouverture de droits pour les auteurs et autrices est malheureusement en-deça de nos attentes, et qu’elle n’est en outre pas pérenne.)
Nous prenons acte de l’annonce d’un abaissement du seuil d’entrée dans les annexes 8 et 10 de l’assurance chômage pour les primo-entrants de moins de 30 ans : seulement 338 heures au lieu des 507. Mais là encore, c’est insuffisant : qu’en est-il des accidents de carrières, du sort de celles et ceux qui allaient « refaire leurs heures » juste avant que la pandémie ne les prive de travail ? Et quid des entrants et entrantes de plus de 30 ans ?
Roselyne Bachelot a annoncé que le dispositif « d’année blanche » serait prolongé jusqu’à fin décembre. Cette prolongation de 4 mois supplémentaires risque d'être bien insuffisante pour bon nombre d'artistes interprètes, qui n'auront pas retrouvé le niveau d'emploi des années précédentes avant leur prochains réexamens. Nous craignons donc que beaucoup subissent une baisse conséquente de leur revenu avec cette mesure en demi-teinte. Pour le gouvernement qui manie des statistiques, c’est peut-être satisfaisant, mais pour celles et ceux qui devront s’endetter ou déménager à cause de ces baisses de revenu, c’est tout simplement insupportable.
Puis est venu le temps d’annonces plus que décevantes : un plan pour les jeunes qui ne correspond en rien aux besoins spécifiques qu’ont les jeunes artistes pour réussir leur insertion professionnelle, un plan timide pour l'emploi, axé principalement sur le GIP cafés cultures (10 millions d’euros) et le GUSO, 3,5 millions d'aides fléchés vers les répétitions et les créations, tout cela s’appuyant sur les efforts demandés aux DRAC exsangues afin de coordonner un plan de relance qui n'en est pas un. Un saupoudrage de miettes… Voilà avec quoi le gouvernement espérait mettre fin à notre combat. Car ce n’est pas de gaîté de cœur que ces 30 millions nous ont été concédés. Mais ils ne suffiront ni à sortir notre secteur de la crise dans laquelle il est plongé, ni à nous faire sortir des théâtres que nous occupons !
Chose plus inquiétante encore, la Ministre du travail a répété par deux fois que le régime de l’intermittence du spectacle est… une subvention du spectacle vivant, financée par les cotisations sociales et la CSG ! C’est avec cet argument qu’elle justifie sa réforme inique de l’assurance chômage et le refus d’élargir le dispositif de l’année blanche aux autres chômeurs : les « Français » ne supporteraient pas que l’on finance d’autres secteurs que le spectacle avec l’assurance chômage. Pour elle, la spécificité de nos annexes repose donc sur le fait qu’elles constituent une subvention du spectacle ! Cette logique (qui est celle du MEDEF) prépare le terrain pour une possible sortie des annexes 8 et 10 de la solidarité interprofessionnelle.
Enfin, malheureusement, rien n'a été annoncé pour sauver nos caisses sociales (AFDAS, Congés spectacle, CMB…) du naufrage qui s'annonce malgré les différentes interpellations explicites.
Madame la ministre Bachelot a, comme à son habitude, placé une petite citation, de Nelson Mandela cette fois :
« Ce qui est fait pour nous, que d'autres ont décidé sans nous, est en réalité contre nous. » Mais elle a omis la suite : « Soyons des êtres actifs ».
Face au manque d'ambition du gouvernement pour nos métiers, face aux dangers qui pèsent sur nos épaules, à l'heure où nous devrions retrouver avec joie nos publics, il est de notre responsabilité désormais d'envisager les suites à donner à nos revendications. Après des mois d'occupation, il est l'heure de faire entendre que sans les artistes interprètes, il n'y a pas de spectacle. Le gouvernement attend-il que nous nous mettions en grève pour comprendre qu’il en faudra davantage pour relancer réellement notre secteur ?
Nous voulons que l'horizon s'ouvre enfin pour tous et toutes les artistes interprètes, quelles que soient leurs pratiques, leurs métiers, nous voulons sauvegarder notre riche diversité, nous ne voulons pas être les grands sacrifiés d'un avenir médiocre.
Alors oui, comme l'a si bien dit Nelson Mandela : « Ce qui est fait pour nous, que d'autres ont décidé sans nous, est en réalité contre nous. Soyons des êtres actifs. »