Le Forum de Chaillot

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Lors du Forum, "Avenir de l'Europe, Avenir de la Culture" organisé par la Ministre de la Culture au Théâtre National de Chaillot le 4 avril, nous avons appelé les artistes à se rassembler contre les politiques d'austérite et regression sociale, dans la culture aussi! Grâce à la présence des professionnels à l'extérieur, le secretaire général de notre Fédération du Spectacle, Denis Gravouil, a pu s'exprimer à l'intérieur du Forum, devant la quinzaine de ministres présents.

Nous reproduisons ici le texte qu'il a lu à cette occasion, ainsi que la déclaration que nous avons distribuée, élaborée avec L’Alliance Européenne des Arts et du Spectacle (EAEA), qui regroupe les fédérations EuroFIA, FIM et EuroMEI et avec la Fédération européenne des journalistes.

Mesdames et Messieurs les Ministres de la Culture, Mesdames et Messieurs les participants de cette rencontre,

Aujourd’hui 4 avril, alors que de nombreux travailleurs, à l’appel des syndicats européens, manifestent à Bruxelles contre l’austérité, la casse des services publics, pour l’emploi et contre le chômage que ces politiques engendrent, vous nous simplifiez la tâche en venant vous-même à Paris : ce sera plus simple de vous faire part de notre colère.

A l’extérieur sur la place du Trocadéro, des professionnels du spectacle, de la culture, de l’information, mais aussi des travailleurs de tous secteurs manifestent pour clamer notre refus des politiques que les gouvernements européens mènent et pour défendre, et même améliorer, les droits sociaux malmenés de ce fait.

Depuis de nombreux pays d’Europe, via nos organisations internationales, nous avons reçu des messages de soutien et des témoignages pour rapporter la situation parfois terrifiante de la Culture.

L’austérité c’est commode pour s’attaquer à la radio-télévision publique, voire la fermer comme en Grèce, et privatiser des medias essentiels à la démocratie, y compris donc dans le pays qui en est le berceau.

Partout l’audiovisuel public est soumis à des restrictions draconiennes pendant que de très gros groupes continuent d’en réclamer la privatisation à leur pur profit.

L’austérité, ce sont les coupes violentes dans tous les pays d’Europe dans les budgets consacrés à la Culture. L’Irlande a subi une baisse de 30% en 5 ans et la Croatie une baisse de 50% cette année. En France, pays si fier de sa politique culturelle, des années de restriction nous ramènent désormais en dessous du niveau de 1981, année célèbre pour le doublement du budget de la Culture !

L’austérité se traduit par le saccage des financements locaux de la culture : nos collègues britanniques entre autres pointent que des coupes jusqu’à 90% dans les budgets des collectivités locales occasionnent encore plus de dégâts qu’à l’échelon national, provoquant la fermeture de théâtres, de salles de concert…

L’austérité, c’est l’augmentation de la TVA: c’est non seulement l’impôt le plus injuste car il ne tient pas compte du revenu mais c’est une catastrophe pour l’économie de nos secteurs. En Espagne, le doublement de la TVA a engendré la fermeture de nombreux cinémas.

L’austérité ne s’applique pas de la même façon à tout le monde car dans un univers désormais numérisé, des géants tels que Google ou YouTube, échappent à l’impôt, ainsi qu’au partage de la valeur avec les créateurs, les auteurs de la musique, du cinéma, des lettres, de l’information… 

Nous nous associons à l’appel des artistes qui vient d’être lancé en ce sens.

Vos gouvernements s’attaquent bien timidement à ce problème de temps en temps, tandis que la Commission européenne envisage de mettre à mal … le droit d’auteur, plutôt que de remettre en cause les paradis fiscaux, ou le dumping fiscal qui favorise les délocalisations, la mise en concurrence des salariés entre eux, dans le cinéma, ou la musique par exemple.

L’austérité, l’orthodoxie budgétaire, c’est aussi la bataille permanente pour justifier, presque s’excuser, auprès de la commission européenne de mener des politiques de soutien à la création, dans la culture, l’information, pour en assurer le pluralisme et la diversité.

L’austérité enfin c’est la destruction des droits sociaux, souvent déjà faibles,  des travailleurs de nos secteurs. La situation des artistes plasticiens par exemple est partout synonyme de précarité.

Dans de nombreux pays, nos collègues de toutes nos professions n’ont pas ou très peu accès aux garanties collectives d’autres travailleurs, violemment attaquées par ailleurs.

En Belgique, en Suisse, la protection sociale des artistes et techniciens intermittents a été remise en cause.

En France les salariés intermittents du spectacle au côté des intérimaires, des travailleurs précaires et de tous les demandeurs d’emploi ont lutté pour empêcher le patronat de supprimer leur système d’assurance chômage et demandent maintenant au gouvernement de ne pas agréer un accord conclu par certains syndicats qui baissent considérablement les droits. La négociation de ce texte scandaleux a constitué en elle-même un déni de démocratie, les propositions des intéressés n’ont même pas été examinées, tandis que d’interminables négociations de couloir ont abouti à un système qui encourage la précarité alors que l’assurance chômage devrait la combattre… Madame la Ministre vous allez pouvoir expliquer à votre nouveau collègue du Travail comment respecter sa parole, lui qui vient imprudemment il y a moins d’un mois de co-signer une tribune réclamant une négociation sur nos bases… Et lui demander donc de ne pas agréer le texte, puisque sa fonction le met en position de décider.

 

Bref, si les professionnels manifestent en Espagne, au Portugal, en Italie, en Pologne, en France (avec les marches pour la Culture qui grandissent), Mesdames et messieurs les ministres, c’est parce qu’il y a urgence à mener une autre politique. Selon une célèbre expression culturelle française, vous avez besoin de nous pour aller dire « merde » à vos collègues qui tiennent les finances, allons-y, tapons du point sur la table !

De plus en plus souvent, et parce les engagements ne sont pas tenus et que l’austérité frappe de plein fouet nos secteurs, considérés comme des variables d’ajustement, des investissements non prioritaires en période de crise, les partis d’extrême droite montent, prennent le pouvoir, s’en prennent à la Culture et à l’Information, de même qu’ils s’en prennent à ceux qui ont une sale tête d’étranger.

 

Nous devons être porteurs d’un autre projet de société, la culture et l’information sont les vecteurs de cette diversité et de ce pluralisme contre la haine et pour une Europe des citoyens.

Il ne suffit pas d’exclure certains secteurs des négociations comme dans les discussions transatlantiques. Il faut d’urgence des ambitions politiques nouvelles et radicalement différentes.

Nous ne cesserons pas de nous battre dans tous nos pays pour cela !

 

DÉCLARATION DE EAEA ET DE LA FEJ À L’OCCASION DU FORUM « AVENIR DE L’EUROPE, AVENIR DE LA CULTURE »

 

 

Les professionnels de la culture représentés par leurs organisations syndicales européennes s’adressent aux ministres de la culture pour leur faire part de leurs vives inquiétudes vis-à-vis des politiques culturelles actuellement menées au sein de l’Union européenne.

Au même titre que d’autres secteurs de l’économie, les institutions culturelles et les opérateurs des médias peuvent être affectés par la récession mondiale et les politiques d’austérité. Cependant, l’idée selon laquelle les dépenses en faveur de la culture ne seraient qu’un luxe et devraient, à ce titre, être réduites ou supprimées relève d’une approche à courte vue extrêmement choquante.

Au niveau des États, les budgets culturels sont trop souvent devenus des variables d’ajustement des politiques économiques nationales : de nombreux orchestres, théâtres et compagnies ont purement et simplement disparu. Tous les pays d’Europe connaissent un recul sans précédent des financements publics de la culture. Les opérateurs nationaux sont les plus touchés mais, dans toutes les régions, ce recul frappe tous les niveaux de la création et de la diffusion.

Les services publics de radiodiffusion de nombreux pays sont victimes d’une réduction drastique des moyens qui leur sont alloués avec, à la clé, la suppression d’un nombre élevé d’emplois et un réel affaiblissement du service public des médias auxquels s’ajoute de plus en plus fréquemment la menace d’une perte d’indépendance éditoriale. La qualité, l’indépendance et la pérennité de ces services sont ainsi mises en danger de même que le pluralisme et les valeurs démocratiques dont ils sont les garants selon les termes du Protocole d’Amsterdam concernant le service public de radiodiffusion. Les dispositifs d’aide publique à l’économie du cinéma font également l’objet de coupes significatives. La remise en question par la Commission des politiques de soutien des états membres empêche le développement d’une politique industrielle forte et fragilise la diversité culturelle.

Dans ce contexte, les travailleurs de la culture et de l’information souhaitent attirer l’attention des ministres sur quelques points clés à prendre en considération au niveau européen :

  • La culture n’est pas une marchandise. L’Union européenne doit maintenir celle-ci hors du champ des négociations commerciales internationales. À cet effet, la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles doit devenir la clé de voûte de toute politique européenne dans ce domaine.
  • La protection sociale des travailleurs de la culture et de l’information doit être maintenue et développée, conformément à la Recommandation de l’UNESCO sur la Condition de l’artiste de 1980. Elle ne doit en aucun cas être fragilisée, voire remise en cause par les politiques d’austérité.
  • Alors que les services audiovisuels sont exclus du champ d’application de la directive « Services », le spectacle vivant reste soumis à ses dispositions. Nous souhaitons que l’ensemble du secteur culturel fasse l’objet d’une exclusion du champ d’application de cette directive lors de sa révision.
  • Nous appelons à une réflexion approfondie sur la TVA en Europe afin de mettre un terme aux distorsions fiscales qui pénalisent les entreprises et les économies européennes face aux géants du net.
  • Nous constatons de nombreuses atteintes aux droits de propriété intellectuelle, qui constituent pourtant un élément essentiel de l’économie du secteur de la culture et de l’information. Alors même que la piraterie commerciale continue à piller les auteurs, les artistes interprètes et les producteurs, la banalisation de l’utilisation gratuite non autorisée d’œuvres protégées tend à vider de son sens la notion même de propriété intellectuelle. Au niveau des États membres, plusieurs initiatives législatives réduisent considérablement la portée de ces droits sans prévoir la moindre compensation pour les créateurs en contrepartie de ces limitations. 
  • Bien que les œuvres et contenus résultant du travail des auteurs, artistes interprètes et journalistes soient plus utilisés que jamais du fait de la démocratisation accélérée de l’accès à l’Internet, les travailleurs créatifs profitent fort peu des revenus considérables qu’ils génèrent et sont souvent forcés de céder leurs droits contre une rémunération forfaitaire. Ils doivent pouvoir obtenir une rémunération pour toutes les formes d’exploitation de leurs œuvres au moyen d’un partage de la valeur juste et équitable. Leurs droits moraux doivent également être reconnus, notamment le droit de paternité et le droit au respect de l’intégrité de leur travail. Par ailleurs, les entreprises qui utilisent leurs créations et leur travail, quel que soit leur lieu d’implantation et l’environnement dans lequel elles opèrent, doivent contribuer au financement des œuvres et à la création de nouveaux contenus, de façon à garantir et à développer la croissance et l’emploi du secteur.

En conclusion, nous affirmons que l’investissement public dans les secteurs de la culture et de l’audiovisuel ne peut pas être purement et simplement remplacé par des investissements privés. Une telle approche remettrait en cause le droit des citoyens d’accéder à des œuvres et répertoires qui sont absents de l’offre commerciale. Le soutien à la musique symphonique, à l’opéra, au théâtre, à la danse et au ballet, qui constitue une part précieuse et fragile de notre patrimoine culturel, relève en tout premier lieu de la responsabilité des gouvernements nationaux, régionaux et locaux. Dans le secteur de l’audiovisuel, il faut assurer au service public de radiodiffusion des moyens financiers pérennes et conséquents qui garantissent à la fois son indépendance économique, éditoriale et créatrice et le pluralisme de l’information. Les états membres et l’U.E. doivent enfin favoriser l’adoption de mesures de soutien spécifiques afin de permettre le développement d’une industrie cinématographique forte et diversifiée.

L’Europe consacre moins de 0,5 % de son budget global à la culture. Nous considérons qu’une véritable ambition culturelle est indispensable pour donner du sens à la construction européenne et valoriser un patrimoine culturel qui constitue l’un des fondements de l’identité et de la place de l’UE dans le monde.

 

L’Alliance Européenne des Arts et du Spectacle (EAEA) réunit les fédérations EuroFIA, FIM et EuroMEI. Elle représente les travailleurs du secteur des arts et du spectacle dans les pays membres de l’Union européenne et dans les comités du dialogue social sectoriel européen. EAEA est membre de la CES. Wwwiaea-globalunion.org / contact@iaea-globalunion.org

 

La FEJ est l’organisation rassemblant le plus grand nombre de journalistes en Europe et représente environ 320.000 journalistes dans 39 pays. La FEJ lutte en faveur des droits sociaux et professionnels des journalistes actifs dans tous les secteurs des médias à travers l’Europe par le biais de syndicats et d’associations professionnelles fortes. www.ifj.org/regions/europe/ efj@ifj.org