Le conseil national du Syndicat Français des Artistes interprètes du 17 janvier 2011 a débattu des deux documents successifs émanant du cabinet du ministère de la Culture et de la Communication. Le premier daté de septembre 2010 intitulé « Culture pour chacun- programme d’actions et perspectives », véritable agression à la fois masquée et frontale contre la création artistique, l’autre, semblant faire marche arrière, intitulé « Culture pour tous, culture pour chacun, culture partagée » qui appelle à un forum national le 4 février prochain.
Il est à noter que l’ampleur et l’unanimité des réactions des organisations professionnelles et de la presse contre les théories dogmatiques, déconnectées des réalités, des idéologues du ministère les ont fait reculer dans les « éléments de langage » : il n’est plus question de dire que la création artistique désignée dans la formule « sous couvert d’exigence et d’excellence » est un « obstacle » à la démocratisation culturelle, mais au contraire qu’il convient de poursuivre "la construction d’une culture commune en préservant l’exigence culturelle".
D'autre part, la prétention totalitaire d’imposer à toutes les politiques culturelles à venir « le caractère irréversible » de « la culture pour chacun » est pour l’instant mise de côté.
Les artistes, tous les salariés, les citoyens les élus doivent puiser dans ce recul la détermination pour en finir avec un projet destructeur et dangereux, car le revirement n’est qu’apparent et le noyau dur du programme « Culture pour chacun » persiste.
En effet si tout ce qui, jusqu'ici, a donné des résultats positifs dans les tentatives de démocratisation culturelle doit être «poursuivi et développé », en particulier en matière de création artistique, nulle part il n’est fait allusion aux moyens avec lesquels cela doit être poursuivi et développé.
Aucune allusion non plus aux moyens pour permettre le développement de l’action culturelle, dont l’objectif consiste, entre autres, à faciliter l’accès aux œuvres artistiques et culturelles.
Pas plus n’est-il question de l’éducation artistique actuellement si désastreuse. Le ministère constate justement que « le capital symbolique de chacun demeure un élément discriminant qui nourrit bien des préventions ». Mais alors, comment faire pour combattre cette situation et combler le fossé culturel sinon par l’apprentissage à l’école de la compréhension des œuvres artistiques ? Le SFA affirme, avec beaucoup d'autres, que pour apprécier une œuvre littéraire, picturale, chorégraphique, dramatique, cinématographique ou musicale, il faut apprendre à la connaître, libre ensuite à chacun de l’aimer ou pas.
Le SFA exige qu’au-delà des multiples déclarations solennelles de ministres, jamais suivies d’effet, une véritable politique d’éducation artistique se mette réellement en place à l'école avec les moyens nécessaires. C'est une mesure salutaire d'urgence !
On pourrait être agréablement surpris par le projet d’un "service public de qualité en mobilisant des moyens", mais on déchante aussitôt en lisant qu’il se réduit à « une véritable stratégie du numérique » !!!!
Les idéologues de notre ministère nous ont habitués depuis longtemps à pondre régulièrement des solutions miracles pour justifier un recul de la responsabilité publique de l’Etat. On se souvient en particulier du fameux rapport d’Augustin Girard affirmant que les industries culturelles produisaient la vraie démocratisation, et qu’il n’y avait donc plus lieu de financer quoi que ce soit d’autre.
Aujourd’hui, Monsieur Frédéric Mitterrand avec l’aide de son conseiller Francis Lacloche a trouvé ce qui lave plus blanc que blanc : le numérique. La télévision ce n’était rien. Le numérique entraîne un nouveau défi : « la montée en puissance de la culture à domicile ».
L’apologie de l’industrie numérique revient, en vérité, à faire de "la culture pour chacun" une « culture du chacun chez soi ». Qui peut croire que quelqu’un qui n’a aucune envie de visiter un musée connaîtra son chemin de Damas par une visite numérique ? Qui peut croire qu’un individu ignorant et donc réputé "intimidé" par Verdi va rester deux heures devant Internet pour assister à une représentation de La Traviata parce qu'il est à domicile ? On se moque de nous !
L'éloge de "la culture à domicile" c’est le repliement, cultiver l’isolement, voire les communautarismes, alors que c’est dans la rencontre vivante que s’invente et se partage cette « multitude culturelle » paradoxalement invoquée dans le texte de l’invitation au forum.
Toutes ces contorsions du ministère visent à camoufler la volonté d'appliquer à la culture la segmentation libérale déjà à l'œuvre dans d'autres secteurs de la vie publique (santé, éducation nationale…). Ainsi se prépare une culture à plusieurs vitesses au bénéfice essentiellement des industries de consommation.
La culture est et doit être une puissance d'émancipation, il est inacceptable qu'on en fasse un instrument d'aliénation !!!
Le SFA appelle les artistes, les salariés, les citoyens, les élus à tout faire pour démasquer l’hypocrisie de ce soi-disant forum national afin qu’il ne se déroule pas aussi sereinement que le souhaitent ses organisateurs.