Réforme des collectivités territoriales ou le désert culturel annoncé !

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Article paru dans Plateaux n°202 - 3ème trimestre 2010

 

Après en avoir débattu quasiment en catimini le 15 septembre, suite à son vote du projet de loi sur la réforme des retraites, l’Assemblée nationale a adopté en deuxième lecture, le 28 septembre, le projet de loi sur la réforme des collectivités territoriales. Ce faisant, les députés de la majorité ont obéi au gouvernement en balayant d’un coup de trait toutes les propositions avancées par les sénateurs cet été, qui corrigeait certains des excès du texte initial. Nous pouvons avoir de nouveau de fortes inquiétudes quant au devenir des politiques culturelles ! Les différences entre les deux versions du projet devraient être aplanies au sein d’un Commission mixte paritaire des deux chambres début octobre, et, faute d’accord, c’est l’Assemblée nationale qui tranche en dernier ressort.

 

Parmi les mesures qui auraient le plus d’impact, il y a celles qui concernent directement la répartition des compétences et les niveaux d’intervention entre les trois principaux échelons du territoire, à savoir : commune, département et région. Si les mesures inscrites dans le projet de loi devaient s’imposer, ce sont les dispositifs de financements dits croisés qui seraient remis en cause, avec pour conséquence directe la disparition probable de nombreux festivals, d’institutions culturelles et de compagnies ; de nouvelles compétences seraient appliquées, et à la clause dite « de compétences générales » serait substituée la clause dite « de compétences exclusives », avec en prime une recentralisation des pouvoirs entre les mains de l’Etat (sans d’ailleurs que celui-ci assume les responsabilités lui incombant suite à cette accaparation des pouvoirs décisionnaires) .

 L’initiative d’élus en Avignon

C’est sur ces craintes justifiées que de nombreuses initiatives, d’appels, et de mises en alerte se sont succédés. Parmi ces initiatives, il convient de souligner celle prise le 16 juillet en Avignon et portant sur la déclaration suivante : « Pour une République culturelle décentralisée : l’engagement solidaire des collectivités territoriales ». C’est cette annonce certes symbolique, mais non dénuée de fond politique, que onze associations d'élus1 ont signé conjointement au cours du Festival d’Avignon. Cette initiative n’est certainement pas le fruit du hasard. Elle vise à rappeler à l’Etat le rôle croissant des collectivités territoriales dans le domaine de la création et la conception d’actions politiques culturelles territoriales, mais elle traduit indirectement la crainte de ces mêmes collectivités de se voir à court terme déposséder d’une partie de leurs compétences et de leurs moyens financiers.

S’inscrivant au cœur des débats portant sur la réforme des collectivités territoriales et sur la révision générale des politiques publiques (RGPP), couplés au manque d’orientations et d’engagements d’une politique culturelle nationale, cette déclaration peut apparaître pour beaucoup d’observateurs comme un appel à résister face à un Etat de plus en plus centralisateur et s’éloignant de certaines valeurs et principes.

Bien que la raison d'être de toutes ces associations d'élus ne consiste pas à édicter des prescriptions, la déclaration invite :

  • A un engagement commun des élus à construire une volonté culturelle territoriale forte et devant se traduire par une réelle solidarité sur le terrain.

  • A contribuer à aider les élus chargés de la culture à se battre au sein de leurs assemblées, à ne pas baisser les bras, et à faire en sorte qu'ils soient en mesure de se faire entendre de leurs exécutifs.

  • A faire valoir des propositions ambitieuses, comme demander une loi d'orientation pour la culture.

  

Un éclairage

Alors que le budget du ministère de la Culture représentait 1% du budget de l’Etat en 2002, le budget de la mission culture ne représente en 2010 que 0,77% du budget général de l’Etat, et cette tendance lourde ne semble pas prêt à décélérer dans les toutes prochaines années. Les collectivités territoriales sont devenues les acteurs majeurs du financement public de la culture en France.

Selon l'Association des régions de France (ARF), entre 2004 et 2010 l’effort financier des régions pour la culture a progressé de 11% par an en moyenne. Au total, sur 10 milliards d’euros d’argent public consacrés à la culture en 2010, 3 milliards proviennent de l’Etat et 7 des collectivités territoriales (ou 70%).

Défendre le maintien de la clause générale de compétence

C’est par l’intermédiaire de la clause générale de compétence et par les transferts de certaines compétences que des politiques culturelles ont pu émerger sur l’ensemble du territoire, permettant à des collectivités territoriales de pouvoir investir deux fois plus que l’Etat, voire même dix fois plus en ce qui concerne le subventionnement des dépenses de fonctionnement des structures de spectacle vivant. La suppression de la clause générale de compétences et la réforme de la fiscalité locale entraîneraient de fait un désinvestissement des collectivités territoriales en matière de politique culturelle.

Avec la disparition annoncée de la clause générale de compétence des collectivités territoriales, induite par ce projet de loi, on assiste à une remise en cause fondamentale des acquis de près de 30 ans de décentralisation.

Maintenir le dispositif des financements croisés, refuser les inégalités territoriales

La limitation des financements croisés des projets et infrastructures des collectivités pose clairement la question du devenir des politiques publiques et plus particulièrement dans le domaine des politiques culturelles, qui ont besoin des collaborations entre les différents niveaux de collectivités.

Avec les mesures annoncées dans le projet de loi, les communes, et notamment les petites communes rurales, pourraient se retrouver seules pour assurer la compétence culturelle -non obligatoire- et ne seraient plus soutenues par les départements et les régions.

Le projet de loi prévoit d’instaurer la règle selon laquelle le maître d’ouvrage doit assurer une part significative du financement de ses investissements. Les cofinancements se verraient limités aux projets dont l’envergure ou le montant le justifie. Cette évolution constitue un risque majeur pour les petites collectivités, particulièrement en milieu rural. Une commune rurale souhaitant mettre en place une action culturelle ou construire une infrastructure dont le montant ne sera pas jugé d’envergure suffisante ne devrait donc plus pouvoir bénéficier du soutien des autres niveaux de collectivité, avec pour conséquence l’accroissement des inégalités entre petites et grosses communes. Seules ces dernières seraient de fait en mesure de pouvoir disposer de structures culturelles, alors que les villes moyennes et les zones rurales deviendraient un désert culturel, remettant en cause des années d’efforts pour assurer un maillage culturel sur l’ensemble du territoire.

Cette perspective fait également peser de lourdes incertitudes sur le secteur associatif culturel. Ces associations qui pouvaient bénéficier, en raison de la nature de leurs actions, de subventions provenant de différents niveaux de collectivités, sont en effet très menacées. Ces cofinancements sont le plus souvent indispensables à leur équilibre financier et constituent une condition sine qua non de leur existence. La fin de ces financements croisés risquerait de se traduire par la dissolution d’un nombre important d’associations culturelles, dont des compagnies théâtrales.

Les politiques locales menées en réponse aux besoins exprimés par les populations ne pourraient plus être assurées, alors même que la demande de culture n’a jamais été aussi forte et qu’elle apparaît comme une valeur refuge en période de crise.

Refuser que la culture soit une compétence facultative…

La réforme de la fiscalité locale pourrait également accentuer l’affaiblissement des politiques culturelles territoriales dans un contexte de crise économique.

La suppression de la taxe professionnelle pourrait contraindre les budgets locaux et réduire l’autonomie fiscale des collectivités territoriales. Certaines collectivités assisteront, à partir de 2011, à des baisses importantes de leurs recettes fiscales. Cette situation risque d’avoir des conséquences néfastes pour leurs politiques culturelles, car la réforme diminuera considérablement les marges de manœuvre des collectivités. Elles seraient tentées d’équilibrer leurs budgets par une diminution des dépenses. Or, la culture n’étant pas une compétence obligatoire, le risque est que les élus locaux se servent de ce poste comme une variable d’ajustement et se recentrent sur des compétences aussi nécessaires, mais obligatoires comme : l’action sociale, l’éducation, les transports…. Dans un contexte de réduction des ressources liée à la réforme de la fiscalité locale et sur la nécessité de répondre à de nouvelles urgences du fait de la crise économique, ce risque apparaît d’autant plus important.

La loi portant sur la réforme des collectivités territoriales ne doit donc pas acter la compétence culturelle exclusivement à un seul niveau de collectivité. Les coopérations entre chaque niveau sont nécessaires et doivent être maintenues, afin de permettre la solidarité, le développement, l’attractivité des territoires et l’émergence de projets.

Le bilan des politiques culturelles menées par les collectivités justifie le maintien d’une compétence partagée entre toutes les collectivités dans ce domaine. Face à une loi de recentralisation qui ne dit pas son nom, couplé à un désengagement de l’Etat dans le domaine culturel, la vigilance s’impose pour éviter que la culture ne constitue une variable d’ajustement.

Loin de s’opposer, les actions de l’Etat et des collectivités impliquent une coordination où le rôle et la place de chacun seraient certainement à clarifier, mais en aucun cas à supprimer.

Nous refusons la très résistible régression qui est en marche. Eléments incontournables d’émancipation de l’individu et de lien collectif, l’art, la culture et la connaissance sont les raisons d’être d’une société démocratique, qui peuvent par ailleurs apporter des réponses à la crise socio-économique.

Nous exigeons plus que jamais l’élaboration et le vote d’une loi d’orientation et de programmation pour la culture et la création !

Olivier CLEMENT

1 Les associations d’élus signataires : Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, Assemblée des départements de France, Association des maires de France, Association des régions de France, Maires des grandes villes, Assemblée des communautés de France, Fédération des maires de villes moyennes, Association des petites villes de France, Maires ruraux de France, Communauté urbaines de France, Association des maires villes & banlieues de France.