Intervention de Nasser Mansouri-Guilani en Avignon

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Article paru dans Plateaux n°206 - 3ème trimestre 2011

Lors du débat organisé par la Fédération du spectacle et ses syndicats au Festival d’Avignon, intitulé D’un déficit fabriqué à une pénurie organisée, l’assistance a été particulièrement impressionnée par l’intervention de Nasser Mansouri-Guilani, économiste à la CGT et membre de la section de l'Economie et des finances et de la délégation à la prospective et à l'évaluation des politiques publiques du Conseil économique, social et environnemental (CES). Bien que son texte ne traite pas spécifiquement de politique culturelle, il nous a semblé d’une limpidité telle que nous avons voulu le partager avec nos lecteurs. Ils n’auront aucun mal à voir à quel point les observations de Nasser illuminent nos propres préoccupations, et à quel point les artistes interprètes ont, eux aussi, tout intérêt à se faire entendre dans cette période pré-électorale et à se joindre à la mobilisation interprofessionnelle de cette rentrée 2011.

En fait de « règle d’or », une chape de plomb


Dans le sillage des travaux de la commission présidée par Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI, le gouvernement a déposé en mars dernier un projet de loi constitutionnelle visant « l’équilibre des finances publiques ».
L’objectif affiché de cette « règle d’or » est d’équilibrer les comptes publics (budget de l’Etat, comptes de la Sécurité sociale), en fixant pour chaque année de la programmation un plafond de dépenses et un « minimum d’effort en recettes ».

Il n’y a pas une définition scientifique de « règle d’or »

A l’évidence, il est de bon sens de considérer que le budget de l’Etat doive être équilibré, comme il est de bon sens que de dire que le budget d’un ménage doit être équilibré, qu’on ne doit pas vivre au-dessus de ses moyens. Toutefois il faut poser la question non en instantané, mais en perspectives.

Les dépenses publiques sont regroupées en deux catégories : dépenses courantes (appelées aussi dépenses de fonctionnement) et dépenses d’investissement. La distinction entre les deux est arbitraire et prête à débat. Par exemple, le traitement (salaire) des enseignants est considéré comme une dépense courante, de fonctionnement. Mais si l’on considère l’éducation comme un investissement sur le long terme (ce qui est vrai et de plus en plus admis de nos jours), dès lors il faut présenter ces dépenses comme celles d’investissement. De ce fait, un budget équilibré voire excédentaire ne peut constituer, en soi, l’objectif des finances publiques. Tout dépend des choix sous-jacents et de la vision à long terme.

Par exemple, au mépris de l’opinion publique, le gouvernement Sarkozy-Fillon a fait le choix de réduire les moyens de l’éducation nationale, ce qui va à l’encontre de l’exigence du développement des capacités humaines, de l’amélioration de la qualification de la main d’œuvre. En revanche, il a décidé de réduire l’impôt sur les riches. Ces choix sont inadmissibles du point de vue économique et social.

Rappelons que l’idée de finances publiques équilibrées débouche souvent sur l’objectif d’un budget excédentaire. Précisions aussi qu’un budget équilibré ou excédentaire n’est pas nécessairement signe d’une économie solide. Ainsi, par exemple, le budget de l’Etat espagnol était excédentaire avant la crise, mais cet excédent n’était pas assis sur une économie équilibrée.

Le gouvernement veut faire impasse sur les débats de fond

L’obsession d’un budget équilibré n’est pas nouvelle. Cela fait partie intégrante des recommandations libérales dont s’inspire le gouvernement Sarkozy-Fillon, comme bien d’autres gouvernements européens.

Michel Camdessus avait déjà produit un autre rapport qui préconisait la même chose ; rapport que M. Sarkozy, à l’époque ministre des Finances, considérait comme son « livre de chevet ».

Aujourd’hui les gouvernements, parmi lesquels le gouvernement français, veulent profiter de cette situation de crise pour imposer des reculs sociaux, pour faire accepter au peuple des plans d’austérité. Le gouvernement allemand a donné le la en la matière en inscrivant l’obligation du budget équilibré dans la Constitution.

De plus, le gouvernement Sakozy-Fillon met en avant la « règle d’or » pour éviter le nécessaire débat démocratique sur ses choix politiques qui ont contribué à la dégradation des comptes publics. Il se montre donc totalement insensible à l’égard des critiques qui lui sont adressées tout en prenant une posture de responsabilité.

Précisons les choses.

Le budget de l’Etat est déficitaire en France depuis trente ans. Ce déficit permanent a donné lieu à l’accumulation d’une dette qui ne cesse de gonfler. Depuis déjà plusieurs années, les charges d’intérêt de cette dette représentent plus de 10 % des dépenses publiques et sont devenues le premier poste des dépenses de l’Etat. Ces charges d’intérêt profitent avant tout aux financiers, car la dette de l’Etat est détenue par les capitaux financiers, parmi lesquels les « non résidents », c’est-à-dire des étrangers et des sociétés dont le siège social se trouve en dehors de la France.

Il est donc légitime de dire qu’il faut réduire la dette, ce qui suppose aussi de réduire le déficit budgétaire. Toute la question est de savoir comment et dans quelle perspective. Et c’est là que se pose la question des choix de société et des orientations politiques qui en découlent.

Le déficit du budget de l’Etat qui était de l’ordre de 50 mds € en 2007 est passé à 112 mds en 2010 (de 2 % du PIB à 6 %), après avoir atteint 121 mds en 2009.

Pendant cette période, la dette de l’Etat est passée de 933 mds € à 1 245 mds (de 49 % du PIB à 64 %). Quant à la dette de l’ensemble des administrations publiques (Etat, collectivités territoriales, Sécurité sociale), elle est passée de 64 % du PIB en 2007 à 82 % en 2010.

La récession économique de 2009 n’explique qu’une partie de la hausse du déficit budgétaire et de la dette publique, car le déficit se creusait avant même la crise, précisément à cause des choix du gouvernement Sarkozy-Fillon et particulièrement du fait de la baisse des impôts sur les plus hauts revenus.

Un rapport officiel commandé par le président de la République lui-même reconnaît cette réalité : « Depuis 1999, l’ensemble des mesures nouvelles prises en matière de prélèvements obligatoires ont ainsi réduit les recettes publiques de près de 3 points de PIB (…) A titre d’illustration, en l’absence de baisse de prélèvements, la dette publique serait d’environ 20 points de PIB plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’est en réalité, générant ainsi une économie annuelle de 0,5 point de PIB. »  

Le meilleur moyen de réduire le déficit est de promouvoir l’emploi et d’augmenter les salaires

Le déficit budgétaire résulte de l’insuffisance des recettes par rapport aux dépenses. Les recettes dépendent des revenus, donc du dynamisme de l’activité économique, particulièrement de l’emploi et des salaires.

Si l’emploi et les salaires augmentent, l’activité économique sera plus forte et le revenu national augmentera. A leur tour, les recettes de l’Etat, constituées principalement des impôts, vont augmenter. Elles vont augmenter d’autant plus vite que l’impôt sur le revenu est progressif (le montant de l’impôt augmente plus que proportionnellement par rapport à la hausse du revenu). La hausse des recettes permettra de réduire le déficit budgétaire.

On peut aussi réagir du côté des dépenses pour mettre fin aux gâchis des fonds publics. Par exemple, la prise en charge des exonérations de cotisations sociales patronales coûte chaque année plus de 30 mds € au budget de l’Etat, et ceci sans résultats probants en matière d’emploi. On peut donc utiliser plus efficacement cet argent-là.

De manière plus générale, les « niches fiscales et sociales », c’est-à-dire l’ensemble d’aides, d’exonérations et de réductions d’impôts et de cotisations sociales coûtent chaque année environ 170 mds € à la collectivité (Etat, collectivité territoriales). Ici aussi, on peut faire des économies considérables, ce qui va permettre de réduire le déficit budgétaire.

En un mot, au lieu d’avoir une approche purement comptable, il faut revoir l’ensemble des choix qui président aux finances publiques.

Conformément à cette approche comptable, libérale, le gouvernement a mis en place la Révision générale des politiques publiques (RGPP) dont l’objectif principal consiste à réduire les dépenses (suppression des postes, gel des salaires et traitements…).

La dégradation de la qualité des services qui résulte d’une telle politique va à l’encontre de l’intérêt général et s’oppose à l’exigence d’amélioration du potentiel productif du pays.
On le voit bien, la RGPP n’a pas permis d’améliorer les comptes publics.

Que propose la CGT face à cette situation ?

La forte opposition des peuples aux programmes d’austérité crée des conditions favorables dont il faut profiter pour améliorer les rapports de force au profit du monde du travail.
Sur le fond, il s’agit de valoriser et revaloriser le travail en articulant des mesures immédiates, urgentes, et celles qui nécessite plus de temps.
Il n’y a pas de « catalogue » en la matière. Mais sur la base des revendications qui émergent dans les luttes, et qui inspirent les repères revendicatifs de la Cgt, on peut dire que dans l’immédiat, 5 mesures paraissent indispensables :

  • créer des emplois et augmenter les salaires, car le partage défavorable des richesses au détriment des salariés a été le facteur fondamental qui a déclenché la crise qui sévit dans le monde depuis 2007. De plus, la hausse des salaires est indispensable pour dynamiser l’économie ;
  • mettre fin à l’austérité, car les programmes d’austérité pèse sur le pouvoir d’achat et l’emploi, affaiblissant davantage l’activité économique avec des effets négatifs, entre autres, sur les finances publiques. Ainsi, à cause des plans d’austérité, la croissance économique s’est encore affaiblie en Grèce (-5 %).

    Il faut accroître les dépenses publiques favorables au développement des capacités humaines et des capacités productives (éducation, santé, recherche-développement, infrastructures…). C’est indispensable pour dynamiser l’économie et accroître les ressources financières nécessaires pour réduire le déficit budgétaire et la dette publique;
  • conditionner toute aide publique au respect des critères tels que l’emploi, les salaires, l’égalité de traitements entre femmes et hommes…
  • augmenter l’impôt sur les hauts revenus, ceux du patrimoine et du capital
  • créer un pôle financier public et établir un mécanisme de crédits à taux réduits pour favoriser l’investissement productif : l’emploi, la formation, la recherche, les équipements… (taxer les banques n’est pas à la hauteur des enjeux : nous préférons que les banques accordent des crédits en faveur de l’emploi et de l’investissement productif).

    Ces mesures devraient être accompagnées de bien d’autres, particulièrement dans un cadre européen. Parmi celles-ci on peut surtout citer les suivantes :

•    établir un salaire minimum dans les pays européens ;
•    harmoniser la fiscalité du capital et notamment la base (assiette) de l’impôt sur les sociétés ;
•    lutter réellement contre les paradis fiscaux ;
•    modifier les statuts de la BCE notamment pour :
       - faire de l’emploi l’objectif prioritaire de la BCE,
       - autoriser l’achat des obligations émises par les Etats membres ;
•    créer une agence publique d’information sur les entreprises pour mettre fin aux pratiques scandaleuses des agences privées de notation.
Il convient de rappeler qu’en France, il existe déjà des moyens publics (Banque de France, Insee) permettant de connaître de façon suffisamment fiable la situation des entreprises de tailles différentes.
•    mettre en place une politique industrielle pour éviter une division inadmissible du travail en Europe, certains (comme l’Allemagne) restant industriels, d’autres devenant des économies de service et de tourisme.

Nasser MANSOURI-GUILANI